La présence militaire française au Mali, depuis son premier jour en 2013, n’a pas été sans heurts. Pour une raison importante, les cinq mille soldats français sont partis pour une mission impossible et pour mener une bataille impossible à gagner. Mais il y a une autre raison, c’est que ce déploiement militaire était superficiel et n’était pas sans une mentalité coloniale et un passé négatif sédimenté de part et d’autre.
Le Mali n’est pas l’Afghanistan. En 2013, l’ampleur de l’insurrection terroriste n’était pas la même qu’aujourd’hui. Il ne représentait aucun danger pour personne. Ce n’était pas une rampe de lancement pour le terrorisme mondial. Son gouvernement n’est pas imposé de l’extérieur à la manière afghane. L’Islam est modéré et pacifique. Ces faits ont conduit de nombreux résidents maliens à considérer le déploiement par la France de ses soldats dans leur pays comme un retour au colonialisme en quelque sorte, même si le contexte était différent et la France a affirmé qu’elle avait la justification de ce retour. La propagande des groupes terroristes a beaucoup investi dans ce facteur psychologique jusqu’à ce qu’il devienne synonyme de la mission française au Mali.
L’erreur de la France, dès le départ, a été d’avoir construit son opération au Mali avec une élite francophile locale défaillante séparée de la société. La situation actuelle est le résultat naturel de cette erreur de calcul.
Les Maliens n’ont pas résisté aux soldats français avec les armes et la force, mais, d’autre part, ils ne les ont pas reçus avec des accolades chaleureuses, ni n’ont coopéré avec eux avec enthousiasme. Encore une fois, parce qu’ils y voyaient le retour des visages du passé colonial, cruel, douloureux, raciste et sanglant, et un pillage organisé des biens d’un peuple originellement pauvre et épuisé (ce cas ne se limite pas à Mali seul, mais a été répété dans de nombreux pays africains).
La France sous la houlette de François Hollande en 2013 s’est fait des illusions en pensant que le peuple malien allait saluer ses soldats avec des fleurs et des cris. Et elle était encore plus trompée quand elle pensait qu’elle ferait le travail en quelques mois et que les soldats français rentreraient à la maison transportés au-dessus de leur tête.
Huit ans ont passé et la France n’a rien accompli sur le terrain. Il n’y a pas seulement l’incapacité de remporter une victoire militaire ou de progresser sur le terrain, mais il y a aussi le rapport de la France avec le peuple, qui se dégrade. Aujourd’hui, les commandants de terrain des forces françaises au Mali se plaignent d’avoir perdu même la confiance des agents et informateurs de la population, alors ils les évitent et parfois les trompent, sans que ces personnes soient forcément complices ou favorables aux groupes terroristes. Aujourd’hui, on peut facilement dire que la confusion française au Mali a atteint son paroxysme. Il est probable que cette confusion se multipliera dans la prochaine période, d’autant plus que les autorités françaises prolongeront la mise en œuvre de leur redéploiement militaire et que la date des élections présidentielles françaises approchera.
L’autre erreur de la France a été que son président, Emmanuel Macron, a cru tordre le bras à la nouvelle direction financière en menaçant de retirer les troupes de son pays. L’erreur s’est répétée lorsqu’il a décidé de se lancer seul dans l’opération, comme l’a déclaré le Premier ministre malien Choguel Kokalla Maïga, qui a déclaré avoir entendu parler des plans de redéploiement français par les médias (entretien avec le journal Le Monde, lundi 18 octobre).
Macron a raté que l’Afrique ne soit plus un terrain de jeu exclusivement français. Il a également manqué qu’il y ait des harceleurs, comme la Chine, la Russie et la Turquie, qui attendent les trébuchements de la France au Mali et en Afrique. Macron a traité les autorités maliennes avec suprématie et sans tirer la leçon de la République centrafricaine, lorsque les spécialistes russes ont établi de solides liens de coopération avec les services de sécurité, avec l’approbation des autorités locales, la France a regardé paralysé.
Quant à l’humeur politique française, le Mali est désormais un dilemme, avec des solutions allant de mal en pis. Y rester est un grand problème car ce sera synonyme d’une immersion supplémentaire dans un bourbier sans fin en vue. En sortir est un autre dilemme, car cela signifie une perte politique et stratégique, et faire place à d’autres forces non pardonnées au Mali qui ne sont pas poursuivies par les malédictions du passé. Dans ce cadre, on peut situer la rapidité avec laquelle les autorités maliennes se sont entendues avec les forces de la compagnie militaire privée russe pour combler le vide qui résultera du redéploiement des forces françaises. Les Russes seront en mesure de résoudre les problèmes au Mali, en tirant parti de facteurs subjectifs et objectifs, dont le plus important est que leurs relations avec le peuple malien soient exemptes de causes d’hostilité.
Habituellement, la décision de se retirer d’un bourbier militaire et stratégique, ou de s’y redéployer, est une bonne nouvelle pour les deux côtés de l’équation. Cependant, le cas du Mali a accru la perplexité et la confusion des Français. Hormis la honte du chaos qui a accompagné le retrait américain d’Afghanistan, l’administration américaine sera plus à l’aise et moins inquiète pour l’Afghanistan que la France pour le Mali. Bien que les effectifs français et logistiques soient bien inférieurs à ce que les États-Unis ont déployé en Afghanistan, il n’est pas faux de dire que les Français souffrent de leur redéploiement au Mali autant que les Américains ont souffert de leur exode d’Afghanistan, et peut-être Suite. Les forces américaines ont envahi l’Afghanistan en 2001 libérées de tout passé historique douloureux. Et je m’en suis sorti en 2021 sans ce nœud de date. Quant au cas de la France avec le Mali, il est complètement différent en raison du passé commun d’abord, puis de la différence de mentalité et d’équilibre historique entre les Français et les Américains.
La France a perdu son influence au Mali, comme elle l’a perdu dans de nombreux pays africains, et elle ne pourra pas la regagner. Il ne reste rien de ce qui la relie à ses anciennes colonies si ce n’est des élites politiques et culturelles déconnectées de leur réalité et limitées en présence et en influence.