Après avoir arrêté la quasi-totalité des dirigeants civils, l’armée a ouvert le feu sur les manifestants, faisant au moins sept morts et plus de 140 blessés.
La répression se poursuit au Soudan. Mercredi 27 octobre, les forces de sécurité étatiques ont multiplié les arrestations de militants et manifestants et quadrillé Khartoum, la capitale, pour tenter d’en finir avec l’opposition au coup d’Etat du général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane. En fin de journée, elles ont affronté des manifestants décidés à maintenir les barricades de leur « grève générale ».
Compte tenu des avertissements de la communauté internationale, l’armée avait tenté, mardi, de donner des gages en autorisant le retour à Khartoum du premier ministre renversé, Abdallah Hamdok. Ce dernier était détenu après le putsch, la veille, avec la plupart des civils qui composaient le pouvoir de transition. Il reste « sous surveillance étroite », selon son bureau.
Des militants et des manifestants arrêtés
Dans les rues des principales villes du pays – Port-Soudan (est), Wad Madani (sud), Atbara (nord), Khartoum (centre) –, de nombreux civils manifestent depuis le début de la semaine contre le coup d’Etat.
La situation était particulièrement tendue dans la capitale, mercredi. Des heurts ont eu lieu notamment dans le très remuant quartier de Bourri, où des centaines de manifestants jetaient des pierres. Pour empêcher les manifestants de se regrouper, les forces de sécurité ont « enlevé toutes les barricades », faites de branchages, de pierres ou de pneus brûlés, dans le centre-ville, raconte un manifestant. « Elles arrêtent tous ceux qui sont à leurs abords. »
Dans la soirée, le ministère de l’Information, fidèle au gouvernement déchu, a déclaré dans un communiqué que les forces de sécurité resserraient leur contrôle sur la capitale : « Des quartiers et des rues ont été bloqués par des véhicules blindés et des hommes portant des fusils » et « des femmes ont été traînées » au sol. Il a également exhorté la communauté internationale à enquêter sur les violations contre les manifestants pacifiques.
L’aéroport, en plein centre-ville (et donc encerclé par des manifestants et des forces de l’ordre), a officiellement rouvert mercredi, mais aucune compagnie ne s’est jusqu’ici risquée à annoncer la reprise de ses vols à destination ou en provenance de la capitale soudanaise, où le réseau Internet est toujours coupé.
L’un des leaders du plus grand parti du Soudan, l’Oumma, a par ailleurs été arrêté, de même que d’autres militants et manifestants qui bloquaient les principales avenues de Khartoum.
Depuis lundi, les forces de sécurité ont tiré des grenades lacrymogènes sur les manifestants, faisant au moins sept morts et 140 blessés, selon une source au sein du ministère de la santé au Monde.
En réponse à cette répression sanglante, les militants ont appelé sur les réseaux sociaux à la tenue d’une « manifestation d’un million de personnes » samedi, pour réclamer le transfert complet du pouvoir aux civils.
Les raisons du coup d’Etat
Depuis 2019 et la chute de l’autocrate Omar Al-Bachir, le pouvoir était partagé entre le gouvernement civil dirigé par M. Hamdok et le conseil de souveraineté, chargé de mener la transition, mais le coup de force intervient dans un contexte de tensions exacerbées entre civils et militaires.
La direction du conseil de souveraineté devait être transmise à une personnalité civile dans les prochains mois et les militaires avaient jusqu’ici affirmé leur volonté de respecter le processus de transition. Cependant, la date exacte de cette passation des pouvoirs n’était pas encore connue précisément. De plus, les autorités de transition peinaient à s’entendre sur le fait de remettre M. Al-Bachir à la Cour pénale internationale.
Le 16 octobre, des partisans de l’armée ont planté leurs tentes devant le palais présidentiel, où siègent les autorités de transition. En réponse, le 21 octobre, les partisans du pouvoir civil sont descendus par dizaines de milliers dans les rues du pays pour « sauver [leur] révolution ». Le 23 octobre, le camp civil avait mis en garde contre un « coup d’Etat rampant », lors d’une conférence de presse qu’une petite foule avait cherché à empêcher.
La communauté internationale suspend ses aides
Pour tenter d’expliquer son coup de force, le général Al-Bourhane a prétexté, mardi, le risque de « guerre civile » né, selon lui, d’une autre manifestation contre l’armée il y a une semaine. Visiblement pas convaincus, les ambassadeurs occidentaux ont répété que, de leur point de vue, M. Hamdok était « toujours le premier ministre et son gouvernement le pouvoir constitutionnel » ; ils ont demandé à pouvoir le rencontrer en personne. Le porte-parole de l’ONU Stéphane Dujarric a indiqué que l’émissaire des Nations unies au Soudan, Volker Perthes, avait vu mercredi le général Burhane et le premier ministre qui « n’est pas libre de ses mouvements ».
M. Hamdok, qui était le visage civil de la transition post-dictature au Soudan, s’est entretenu par téléphone avec le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, mardi, et avec le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, mercredi. « Nous ne voulons pas que le Soudan retourne aux heures sombres de son histoire », a tweeté M. Borrell. M. Blinken a également parlé, mercredi, à la ministre soudanaise des affaires étrangères, Mariam al-Sadeq al-Mahdi, « pour solliciter son point de vue sur les mesures que peuvent prendre les Etats-Unis afin de soutenir le peuple soudanais dans son appel à une transition vers la démocratie menée par les civils ».
Le Soudan venait tout juste de retrouver sa place dans le concert des nations après la mise à l’écart du général Al-Bachir, en 2019. Aujourd’hui, le pays risque d’être de nouveau isolé face à une communauté internationale qui a choisi de frapper les généraux au portefeuille.
L’Union africaine et la Banque mondiale ont tenté de faire pression sur l’armée : la première a suspendu le Soudan de ses institutions et la seconde a cessé son aide, pourtant vitale pour ce pays pauvre plongé dans le marasme économique et miné par les conflits. Un choix fait également par les Etats-Unis, qui ont suspendu une partie de leur aide de 700 millions de dollars (604 millions d’euros) au Soudan, lundi.
Du côté de l’Union européenne, cette mesure est, pour l’instant, à l’état de menace, a fait savoir le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, mardi. « Cette tentative de saper la transition du Soudan vers la démocratie est inacceptable. Si la situation n’est pas inversée immédiatement, il y aura de graves conséquences pour l’engagement de l’UE, y compris son soutien financier », a-t-il averti. La mesure pourrait concerner les décaissements non encore effectués, a-t-on précisé de source européenne. Les financements de l’UE au Soudan se chiffrent à 500 millions d’euros depuis 2016.
Moscou, en revanche, estime que le coup d’Etat est « le résultat logique d’une politique ratée », alors que le Conseil de sécurité des Nations unies n’a pas réussi à se mettre d’accord sur une déclaration commune au sujet du putsch.
Source: Le Monde