Après le coup d’État de ce 25 octobre 2921 à Khartoum, les militaires soudanais ont pris le pari de s’arroger les pleins pouvoirs sur la transition et d’en exclure la composante civile. Décryptage avec Raphaëlle Chevrillon-Guibert, chargée de recherche en sociologie politique à l’Institut de recherche pour le développement et spécialiste du régime soudanais.
Raphaëlle Chevrillon-Guibert : Depuis le début, les militaires ne voulaient pas des civils dans cette transition. En 2019, quand ils ont fait un coup d’État contre leur propre régime, celui d’Omar el-Béchir, dont ils faisaient partie, ils n’avaient pas du tout prévu d’inclure les civils. Ce sont les civils qui se sont vraiment imposés dans cette transition avec quatre mois de manifestations. Depuis deux ans, il y a toujours eu cette volonté des militaires de circonscrire le pouvoir qu’avaient les civils dans cette transition, voire de les en exclure.
Est-ce qu’ils ne prennent pas un risque, ces militaires, alors que la communauté internationale accompagnait la transition ?
En effet, et ce risque les militaires le mesure. On l’a entendu dans le discours du général al-Burhan de ce lundi qui rappelle à la communauté internationale qu’il va conserver tous les engagements du Soudan. Il y a une sorte de discours double. Il écrase les civils, mais dans le même temps, il dit aux partenaires « Rassurez-vous, on va continuer à mener cette transition dans les termes promis ».
Quel rôle vient jouer la situation économique que vous décriviez sur RFI en mai comme « catastrophique » dans la dislocation de cette transition ?
Les militaires ont vraiment compté sur cette situation économique qui avait déjà mis à mal le régime d’Omar el-Béchir. Car il y avait, assez logiquement, des récriminations des Soudanais contre le gouvernement civil chargé de gérer le quotidien. Au Soudan, aujourd’hui, c’est toujours difficile de se nourrir, l’inflation est galopante, l’essence est excessivement chère. Il y avait donc une contestation civile à l’encontre de ce gouvernement, comme dans tout pays qui traverse une crise économique. Les militaires s’en sont saisi pour dire : « Regardez, il faut qu’on reprenne la main ». La réalité est que le gouvernement civil essayait de circonscrire le pouvoir des militaires, car si on veut vraiment espérer une transition, il va falloir que les militaires passent sous la tutelle des civils et non l’inverse.
Où va la sympathie des Soudanais majoritairement ? Aux militaires ou aux civils ?
Je pense que les militaires « surfent » sur l’idée qu’ils sont très populaires. Évidemment, quand ils sont arrivés au pouvoir en 2019, il y a eu un dilemme pour la population qui a toujours craint que les guerres civiles que le pays a pu connaître depuis son indépendance ne gagnent les régions pacifiées. Du coup, l’arrivée de l’armée qui était une institution assez large incluant des personnes venant de toutes les régions du Soudan a toujours connu plutôt de la sympathie de la part de la population. Après, le fait que les militaires aient essayé d’abord d’écraser le mouvement populaire et aient tiré à balles réelles sur les manifestants a poussé la majorité des Soudanais à réaliser que ces militaires étaient ceux de l’ancien régime et qu’il ne fallait pas les accueillir à bras ouverts.
Sur quoi faut-il être vigilant dans les heures et les jours à venir ?
Il est vraiment important de se dire que l’histoire n’est jamais écrite. Beaucoup de choses peuvent être transformées. Déjà il faut évider un bain de sang parce que les manifestations, a priori, ne vont pas s’arrêter. Selon mes informations, beaucoup de gens sortent dans toutes les villes du Soudan. Donc on va avoir une confrontation réelle entre militaires et civils. Et la communauté internationale qui a joué un rôle prépondérant dans la transition peut mettre la pression sur les militaires pour les obliger à réinclure les civils, les partenaires de départ de cette transition, pour peu à peu lâcher prise avant 2023.
Source: Rfi