Ces bombardements interviennent alors que le gouvernement mène une nouvelle offensive depuis mi-octobre dans le nord du pays, avec un succès mitigé.
C’est une nouvelle séquence dans la guerre qui oppose depuis presque un an le gouvernement éthiopien aux rebelles du Front populaire de libération du Tigré (FPLT). L’armée fédérale a procédé à pas moins de huit frappes aériennes la semaine dernière dans la région septentrionale du Tigré, tuant au moins trois personnes le 18 octobre et en blessant des dizaines d’autres, selon l’ONU et des sources humanitaires. Les derniers bombardements, dimanche 24 octobre, ont visé l’ouest et le nord de la province, après avoir ciblé à plusieurs reprises Makalé, la capitale régionale. « Les opérations chirurgicales de l’armée fédérale visent à détruire des caches illégales d’armes lourdes dans des sites localisés », affirme le gouvernement éthiopien sur son compte Twitter.
Les raids aériens ont, en réalité, touché des cibles variées parmi lesquelles un hôtel et des usines de textile et de matériel de construction. Et, selon les versions, un hôpital ou des camps d’entraînement des rebelles des Forces de défense tigréennes (TDF), structurées autour de l’ancien parti du FPLT. Il reste néanmoins difficile d’évaluer les dégâts réels. La province est soumise à un black-out des télécommunications et demeure inaccessible pour les journalistes.
Après avoir initialement nié l’existence de ces raids, se récriant contre un « mensonge absolu », Addis-Abeba a fini par reconnaître l’évidence. Le gouvernement du premier ministre Abiy Ahmed se défend néanmoins d’avoir fait des victimes collatérales. « Il n’y a pas de raison de cibler les civils à Makalé, car la ville fait partie de l’Ethiopie et il s’agit donc de nos concitoyens », affirme Legesse Tutu, un porte-parole gouvernemental. Il accuse en revanche le FPLT d’avoir tué 30 civils après avoir pilonné la ville de Wuchale, en région Amhara, à grand renfort d’artillerie. Là encore, l’information est impossible à vérifier.
Carrefour stratégique
Les frappes aériennes ne sont pas tout à fait inédites depuis le début du conflit au Tigré. Le 22 juin, alors que les rebelles menaient une contre-attaque depuis le maquis, un bombardement de l’armée fédérale avait fait 43 victimes civiles sur le marché de Togoga, un village situé à une trentaine de kilomètres de Makalé. Les raids « visent des civils et constituent une tentative désespérée de se venger sur le peuple du Tigré », accuse Getachew Reda, le porte-parole des rebelles tigréens. Selon lui, ces opérations ont « pour but de détourner l’attention des pertes colossales de l’armée fédérale sur le champ de bataille ».
La grande offensive menée par les forces gouvernementales depuis le 14 octobre, pour reconquérir les territoires occupés par les « TDF » en régions Amhara et Afar, rencontre un succès mitigé. Si les soldats fédéraux et leurs alliés paramilitaires amharas s’approchent de Lalibela et ses églises classées au patrimoine mondial de l’Unesco – une ville symbolique passée sous le contrôle des rebelles début août –, ils perdent du terrain sur d’autres fronts.
Les affrontements armés se poursuivent aux alentours de Dessie, carrefour stratégique situé sur la route qui mène à Addis-Abeba. L’agglomération de 200 000 habitants pourrait se trouver, dans les prochains jours, entourée par les rebelles tigréens. Et ceux-ci laissent volontiers entendre qu’ils sont prêts à descendre jusqu’à la capitale éthiopienne, 400 kilomètres plus au sud.
Ils se sont déjà emparés de Chifra, une ville de la région Afar, à l’est, dangereusement proche de l’axe qui relie Addis-Abeba à Djibouti et constitue le poumon économique de la capitale éthiopienne. Une éventuelle mainmise sur cette route vitale serait un coup de force militaire des TDF pouvant provoquer l’asphyxie d’Addis-Abeba.
Vols de l’ONU annulés
« Les frappes aériennes sont un signe de désespoir plutôt qu’une vraie tactique militaire, » renchérit Kjetil Tronvoll, chercheur au sein de l’Olso New University College. A l’en croire, ces raids relèvent surtout d’une stratégie de communication « car leur impact sur l’effort de guerre tigréen est extrêmement limité, mais l’armée fédérale a besoin de montrer à la population éthiopienne qu’elle inflige des dégâts aux TDF ».
Ces bombardements en milieu urbain ont fait réagir la communauté internationale, avec laquelle Abiy Ahmed se trouve déjà en délicatesse. Devant cette escalade, les Etats-Unis et l’Union européenne ont de nouveau appelé les deux parties à négocier un cessez-le-feu. Du côté des Nations unies, l’exaspération est à son comble. Quelques semaines après avoir vu sept de ses diplomates se faire expulser d’Ethiopie, l’ONU a dû, vendredi, détourner l’un de ses vols humanitaires qui s’apprêtait à atterrir à l’aéroport de Makalé, au moment où les avions de chasse de l’armée de l’air éthiopienne menaient leurs frappes.
Le bureau de coordination humanitaire des Nations unies (OCHA) ne croit pas à une coïncidence. « Je peux confirmer que le gouvernement [éthiopien] était informé de ce vol avant son décollage », précise Gemma Connell, la représentante d’OCHA en Afrique de l’Est. Tous les vols de l’ONU vers Makalé sont désormais annulés. Une décision qui pourrait encore accroître l’isolement du Tigré. La province, dont une partie de la population souffre de famine, n’a reçu qu’environ 10 % de ses besoins humanitaires depuis quatre mois.
Source: Le Monde