Un porte-parole de l’état-major français a annoncé, dimanche, que l’Algérie a interdit le survol de son territoire aux avions militaires français. Ces décisions font suite à des propos tenus par le chef de l’Etat jeudi.
L’Algérie a décidé, samedi 2 octobre, de rappeler « pour consultations » son ambassadeur à Paris, Mohamed Antar Daoud, a annoncé la télévision publique en citant un communiqué officiel de la présidence algérienne et en précisant qu’un autre communiqué explicatif suivrait.
L’Algérie a justifié ce rappel par son « rejet de toute ingérence dans ses affaires intérieures ». Sa décision fait suite aux « déclarations attribuées » au président français, Emmanuel Macron : « A la suite des propos non démentis que plusieurs sources françaises ont attribués nommément au président de la République française, l’Algérie exprime son rejet catégorique de l’ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures que constituent lesdits propos », a déclaré la présidence algérienne, évoquant une « situation particulièrement inadmissible engendrée par ces propos irresponsables ».
Un porte-parole de l’état-major français a, par ailleurs, annoncé dimanche que l’Algérie avait interdit son espace aérien aux avions militaires français. « Ce matin, en déposant les plans de vol de deux avions, nous avons appris que les Algériens fermaient le survol de [leur] territoire aux avions militaires français », a ainsi déclaré le colonel Pascal Ianni, confirmant des informations révélées par le quotidien Le Figaro.
Les avions militaires français empruntent quotidiennement l’espace aérien algérien pour rejoindre ou quitter la bande sahélo-saharienne où sont déployées les troupes de l’opération antidjihadiste « Barkhane ». Selon M. Ianni, « cela n’affecte [toutefois] ni les opérations ni les missions de renseignement » menées par la France au Sahel.
Des « appréciations superficielles »
Avant même qu’Alger ne diffuse un deuxième communiqué expliquant le rappel de son ambassadeur à Paris, initialement annoncé dans une courte déclaration à la télévision publique, les médias algériens avaient dévoilé que la décision était motivée par des déclarations du président français lors d’une rencontre, jeudi, avec des descendants de protagonistes de la guerre d’Algérie, destinée à apaiser « cette blessure mémorielle ».
Lors de cette discussion relatée dans Le Monde, Emmanuel Macron a estimé qu’après son indépendance en 1962 l’Algérie s’est construite sur « une rente mémorielle », entretenue par « le système politico-militaire ». Il y évoque aussi « une histoire officielle », selon lui, « totalement réécrite », qui « ne s’appuie pas sur des vérités » mais sur « un discours qui repose sur une haine de la France ».
Dans son communiqué, Alger a estimé que les propos de M. Macron « portent une atteinte intolérable à la mémoire des 5,63 millions de valeureux martyrs qui ont sacrifié leurs vies dans leur résistance héroïque à l’invasion coloniale française ainsi que dans la glorieuse Révolution de libération nationale ».
Elle a aussi critiqué des « appréciations superficielles, approximatives et tendancieuses énoncées en ce qui concerne l’édification de l’Etat national algérien ainsi que sur l’affirmation de l’identité nationale, qui relèvent d’une conception hégémonique éculée des relations entre Etats ».
« Cette malencontreuse intervention heurte fondamentalement les principes devant présider à une éventuelle coopération algéro-française en matière de mémoire », a estimé la présidence algérienne, qui y voit « la promotion d’une version apologétique du colonialisme », estimant que « rien ni personne ne peut absoudre les puissances coloniales de leurs crimes, y compris les massacres du 17 octobre [1961] à Paris, que l’Algérie et sa communauté établie en France s’apprêtent à commémorer dans la dignité ».
Le « dérapage de Macron »
Sous le titre « Macron au vitriol sur le “système algérien” », le média francophone 24H Algérie a repris de larges pans de l’article du Monde, qui cite un dialogue entre le président français et une vingtaine de jeunes dont les parents ou grands-parents étaient d’anciens combattants du FLN pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), des harkis (paramilitaires au service de la France) ou des rapatriés.
En réponse à une jeune fille qui a grandi à Alger, M. Macron a confié ne pas penser qu’il y ait une « haine » contre la France « de la société algérienne dans ses profondeurs, mais du système politico-militaire qui s’est construit sur cette rente mémorielle ».
Selon le chef de l’Etat, « on voit que le système algérien est fatigué, le Hirak [le mouvement prodémocratie à l’origine de la démission en 2019 du président Abdelaziz Bouteflika, mort récemment] l’a fragilisé ». Dans son entretien avec les jeunes, le président français a assuré avoir « un bon dialogue avec le président algérien, Abdelmadjid Tebboune », ajoutant toutefois : « Je vois qu’il est pris dans un système qui est très dur. »
Le journal privé El Watan, qui consacre sa « une » de dimanche au « dérapage de Macron », estime que « le président français a émis des critiques acerbes vis-à-vis des dirigeants algériens ».
Selon les médias locaux, un autre passage des déclarations d’Emmanuel Macron a provoqué l’ire des autorités algériennes. « Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question », s’est interrogé le président français, en rappelant qu’il y a eu « de précédentes colonisations ».
Sur un ton ironique, il s’est ainsi dit « fasciné de voir la capacité qu’a la Turquie à faire totalement oublier le rôle qu’elle a joué en Algérie et la domination qu’elle a exercée », en allusion à l’Empire ottoman. « Et d’expliquer qu’on [les Français] est les seuls colonisateurs, c’est génial. »
Les relations entre Paris et Alger étaient déjà tendues avant ce samedi. Mercredi, l’ambassadeur de France à Alger, François Gouyette, avait été convoqué au ministère des affaires étrangères algérien pour se voir notifier « une protestation formelle du gouvernement » après la décision de Paris de réduire de moitié les visas accordés aux Algériens souhaitant se rendre en France.
Paris avait annoncé, mardi, une forte diminution du nombre de visas accordés aux ressortissants du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie, en invoquant un « refus » de ces pays de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au retour des immigrés refoulés de France.
« Cette décision, qui est intervenue sans consultation préalable avec la partie algérienne, comporte l’anomalie rédhibitoire d’avoir fait l’objet d’un tapage médiatique générateur de confusion et d’ambiguïté quant à ses motivations et à son champ d’application », a estimé le ministère algérien pour justifier la convocation de M. Gouyette.
C’est la seconde fois qu’Alger convoque son ambassadeur à Paris depuis mai 2020. L’ambassadeur de l’époque, Salah Lebdioui, avait fait l’objet d’un rappel « immédiat » après la diffusion d’un documentaire sur le mouvement de contestation prodémocratie Hirak, diffusé sur France 5 et La Chaîne parlementaire.
Source: Le Monde