Après que le premier ministre malien, Choguel Maïga, a accusé la France « d’abandon », la ministre française des armées, Florence Parly, a dénoncé « l’indécence » de ces propos.
« Wagner ». Comme un tabou, le nom de cette société militaire privée russe sans existence officielle est soigneusement éludé par le premier ministre malien, Choguel Maïga. Son discours prononcé devant la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies et ses dernières déclarations à la presse sonnent pourtant comme la confirmation des discussions engagées entre son gouvernement et la très controversée compagnie, décrite comme l’armée occulte du Kremlin.
Si la France n’a cessé, ces derniers jours, de mettre en garde Bamako contre les conséquences de cette possible réorientation sécuritaire – la ministre des armées, Florence Parly, s’est rendue le 20 septembre sur place pour signifier à son homologue la « grave incompatibilité » entre le recours à ces mercenaires et le soutien occidental –, Choguel Maïga a choisi de répondre aux menaces par une justification empreinte de reproches, une mise au point sans précaution diplomatique.
« La nouvelle situation née de la fin de l’opération “Barkhane”, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome ou avec d’autres partenaires », a déclaré le premier ministre samedi 25 septembre.
« Je ne connais pas de groupe Wagner »
Alors que Paris soutient que la réduction du nombre de ses soldats au Sahel – une diminution de moitié de ses 5 100 militaires aujourd’hui déployés est prévue d’ici à 2023 – ne répond pas une redéfinition de ses priorités mais à « une transformation du dispositif », Choguel Maïga ne se prive pas d’égratigner les autorités françaises pour leurs méthodes et leur manque de considération.
« Le Mali, dit-il, regrette que le principe de consultation et de concertation, qui doit être la règle entre partenaires privilégiés, n’ait pas été observé en amont de la décision du gouvernement français » de mettre un terme à l’opération « Barkhane », transformée « en coalition internationale dont tous les contours ne sont pas encore connus, en tout cas pas connus de mon pays ».
Lundi 27 septembre, la ministre des armées a répliqué aux propos du chef de gouvernement malien, en parlant d’accusations « indécentes » et « inacceptables » qui reviennent « à s’essuyer les pieds sur le sang des soldats français », dont un est mort vendredi.
Paris est d’autant plus été choqué par les déclarations de Choguel Maïga, que quelques instants avant son discours onusien, Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, s’était offert le plaisir de confirmer, en conférence de presse, que « les autorités maliennes se sont tournées vers une société militaire privée russe ». Sans oublier la précision de rigueur : « Nous n’avons rien à voir avec cela. »
Selon les révélations faites par l’agence Reuters, les discussions ont porté sur l’envoi d’un millier de paramilitaires. Mais, à en croire le chef du gouvernement de transition, aucun accord n’a été conclu – jusqu’ici. « Je ne connais pas de groupe Wagner. Le jour où le gouvernement malien va signer un accord (…), on le rendra public », a-t-il assuré dans un entretien accordé à Radio France internationale (RFI) et France 24.
Au-delà des possibles jeux diplomatiques – les dirigeants maliens pouvant profiter des rivalités internationales pour solliciter un engagement plus fort de leurs partenaires actuels et Moscou se délecter de la fébrilité des Occidentaux à l’annonce de l’arrivée de ces sulfureux mercenaires dans leur zone d’influence –, une question se pose cependant : le Mali est-il aujourd’hui sur le point de renverser ses alliances et de se tourner vers Moscou ?
Avec Paris, des relations dégradées
La coopération, y compris militaire, entre les deux pays, est vieille comme l’indépendance malienne, acquise en 1960. Mais comme le note un observateur local, « si les propos du premier ministre reprennent le discours nationaliste ambiant à Bamako et sont avant tout destinés à flatter une partie de l’opinion malienne, il y a une volonté affichée de réorientation stratégique depuis le coup d’Etat d’août 2020 ».
Incarnée en premier lieu par le ministre de la défense, Sadio Camara, formé en Russie, et ravivée par l’arrivée de Choguel Maïga, diplômé de l’Institut des télécommunications de Moscou, à la tête du gouvernement après le deuxième putsch des colonels en mai, cette ligne favorable à une plus grande implication de la Russie ne s’est jusqu’ici traduite par aucun engagement significatif.
Qu’elle débouche ou non sur la signature d’un contrat, la polémique autour de l’éventuelle arrivée des paramilitaires de Wagner aura, quoi qu’il en soit, permis de mesurer l’état de dégradation des relations entre le Mali et la France. Depuis six ans, Paris s’impatiente de voir Bamako appliquer l’accord de paix signé avec les ex-rebelles du Nord, s’agace du manque d’implication des dirigeants maliens dans le redéploiement de l’Etat et s’inquiète désormais d’une probable prolongation de la période de transition au-delà du délai fixé au 27 février 2022.
En invitant ses partenaires internationaux à se montrer « beaucoup plus compréhensifs et pragmatiques » et à ne pas se formaliser pour « quelques semaines de plus, même quelques mois de plus » qui permettront, selon lui, de ne pas « retomber dans une crise qui nous met dans l’incertitude », Choguel Maïga n’a rien fait pour apaiser cette dernière crainte. Les divergences entre Bamako et ses alliés européens mais aussi avec ses voisins sahéliens, Niger en tête, sont cependant plus profondes.
Devant les Nations unies, le chef du gouvernement malien a jugé qu’en dépit du soutien international dont il bénéficie, « de mars 2012 à ce 25 septembre 2021 où je m’adresse à vous du haut de cette auguste tribune, la situation de mon pays ne s’est guère améliorée ». L’extension de la menace djihadiste bien au-delà du nord du Mali et les violences communautaires qui s’y sont greffées ne peuvent que confirmer ce constat d’échec.
Toutes les parties reconnaissent les limites de la lutte antiterroriste telle qu’elle est menée, mais à qui la faute ? En l’absence de solution, reste la polémique.
Source: Le Monde