Au moment où des diplomates africains tentaient d’obtenir des garanties du lieutenant-colonel Mamady Doumbouya sur un retour des civils au pouvoir, des ouvriers installaient non loin une immense affiche montrant le nouveau maître de la Guinée dans un salut martial aux couleurs, sans autre commentaire.
Sous l’affiche de 20 mètres de long installée à l’extérieur de l’hôtel de luxe de Conakry où le colonel Doumbouya discutait avec les émissaires ouest-africains vendredi, Mamadou Douma Diallo exprimait des sentiments répandus: la joie et l’étonnement d’avoir vu renverser « le vieux » Alpha Condé, l’espoir plus ou moins vif de jours meilleurs, et le crédit ou l’adhésion accordés pour le moment aux militaires.
« On veut que Doumbouya redresse la Guinée », dit ce chauffeur de 35 ans, « sous Condé, on souffrait de tous les côtés ».
Une semaine après le putsch, il accuse M. Condé d’avoir outrancièrement favorisé les Malinkés aux dépens des Peuls, les deux principales ethnies du pays. « Si tu parlais pas malinké, on ne te donnait pas de place. Si tu manifestais pour ton avenir, on te maltraitait ou on t’arrêtait ».
Mais sa principale préoccupation, à lui ou à Amadou Diallo, 40 ans, Peul comme lui et l’un des gardes de l’hôtel, c’est la dureté de la vie, et l’augmentation des prix du riz, de l’huile ou de l’essence.
« En Guinée, il y a tout, et les gens n’ont rien », résume Amadou Diallo, en référence aux considérables richesses minières et hydrologiques du pays, dont plus de 43% de la population vit pourtant dans la pauvreté selon la Banque mondiale. Ici, « ce que tu gagnes aujourd’hui, c’est ce que tu manges demain », dit-il.
Le coup d’Etat a surpris les Guinéens, même s’il avait été précédé de mois de tensions provoquées par la décision d’Alpha Condé de briguer un troisième mandat en octobre 2020.
– Motivations en question –
La répression de la contestation a causé des dizaines de morts civils. Des dizaines d’opposants ont été arrêtés avant et après la présidentielle, remportée officiellement par M. Condé, malgré la remise en cause de la crédibilité du résultat.
Pour autant, pas grand monde ne s’attendait à ce qu’aux premières heures du 5 septembre, les forces spéciales du lieutenant-colonel Doumbouya foncent de leur base vers la capitale, à plus de 80 km, prennent d’assaut le palais présidentiel et capturent le président Condé, au prix de quelques heures de combats.
Les médias font état d’une dizaine ou une vingtaine de tués, principalement parmi les loyalistes. On ignore quand, où et comment les morts ont été enterrés. La junte, retranchée dans un complexe aux murs gris proche du Palais du peuple, siège du Parlement, communique uniquement par des communiqués lus sur la télévision nationale.
Ce fait accompli, troisième du genre dans l’histoire de la Guinée marquée par les régime autoritaires ou dictatoriaux depuis l’indépendance en 1958, a suscité des scènes de liesse.
Les motivations du lieutenant-colonel Doumbouya, aux états de service opérationnels présentés comme impeccables, mais plutôt méconnu du public, suscitent les interrogations. Lui-même a invoqué « la gabegie financière, la pauvreté et la corruption », et sa volonté de confier la politique « au peuple ».
Enthousiastes ou moins, les Guinéens interrogés par l’AFP semblent prêts à lui accorder du temps.
« On se fiche que Doumbouya soit Malinké. Qu’on soit Soussou, Malinké ou Peul, ce qu’on veut, c’est qu’on remette la Guinée sur les rails », dit le chauffeur Mamadou Douma Diallo.
– « Inquiétant » phénomène –
Deux chefs de l’opposition à M. Condé, Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré, sont convenus que l’intervention des soldats était le dernier recours possible. « Est-ce que quelqu’un d’autre pouvait le faire si ce n’est les militaires ? », demande M. Touré, revenu vendredi de 10 mois d’exil.
Il se gardent de fixer des échéances. Cellou Dalein Diallo veut des « élections libres et transparentes dans un délai raisonnable ».
Les militaires ont annoncé samedi soir l’ouverture, à partir de mardi, de consultations pour la « transition inclusive et apaisée » qu’ils ont promise.
Les voisins ouest-africains réclament, eux, un « retour immédiat à l’ordre constitutionnel ». Ils ont suspendu la Guinée de leur organisation, la Cédéao, et réservent d’éventuelles autres mesures au rapport de la mission dépêchée vendredi.
Ils affichent leur volonté d’éviter la contagion des coups de force et de prévenir l’instabilité. Mais la popularité du colonel Doumbouya, la dureté des conditions de vie en Guinée, ainsi que la situation du Mali voisin, théâtre de deux putschs en un an, compliquent leurs décisions.
Devant le « phénomène très inquiétant » du retour des juntes, la Cédéao et la communauté internationale « n’ont guère d’autre choix que d’exercer des pressions fortes pour un retour rapide à un pouvoir civil élu », selon un rapport du think-tank International Crisis Group (ICG) publié cette semaine.
Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré s’opposent à des sanctions économiques. Ils mettent aussi en garde contre le risque d’une libération d’Alpha Condé, comme l’exige la Cédéao. Les experts de l’ICG jugent « tout à fait concevable » un contre-coup d’Etat, tant les forces de sécurité sont « factionnalisées ».
Source: La Minute Info