Le premier ministre éthiopien multiplie les discours pour appeler à la mobilisation, alors que l’avancée de l’armée rebelle menace de couper un axe d’approvisionnement vital pour la capitale éthiopienne.
C’est un communiqué qui, par son ton martial, semble sceller la fin du cessez-le-feu unilatéral décrété par l’Ethiopie, et laisse craindre une nouvelle escalade dans la guerre qui l’oppose aux rebelles des Forces de défense tigréennes (TDF) depuis neuf mois. Le bureau du premier ministre, Abiy Ahmed, a appelé, mardi 10 août, « tous les Ethiopiens aptes et majeurs » à « rejoindre les forces de défense, les forces spéciales et les milices et de montrer leur patriotisme », en devenant notamment « les yeux et les oreilles de notre pays pour retrouver et exposer espions et agents ».
Le premier ministre, lui-même ancien lieutenant-colonel, multiplie les discours pour appeler la population à se mobiliser. Ainsi, le 6 juillet, il vantait publiquement sa capacité à lever une force nationale en quelques jours seulement :
« En une, deux ou trois semaines, 100 000 forces spéciales entraînées, armées et organisées peuvent être mobilisées. Si la force spéciale n’est pas suffisante, si une milice est nécessaire, en un ou deux mois, un demi-million de miliciens peuvent être mobilisés. »
Les TDF ont l’initiative militaire
Dans la capitale, Addis-Abeba, les autorités appellent régulièrement la jeunesse à prendre les armes, alors que l’armée fédérale a subi, depuis neuf mois, de lourdes pertes, humaines et matérielles dans les montagnes du Tigré.
La guerre du Tigré, débutée en novembre 2020, a longtemps été confinée à cette province du nord du pays. Elle s’est étendue, depuis la fin du mois de juin, à deux régions voisines – l’Amhara et l’Afar – après que le pouvoir éthiopien, sur la défensive, a décrété un cessez-le-feu unilatéral.
Les rebelles des TDF possèdent désormais l’initiative militaire. Profitant du retrait des soldats éthiopiens, ils se rapprochent des régions d’Amhara et d’Afar, menaçant de couper la route qui relie Addis-Abeba à Djibouti, un axe d’approvisionnement vital pour la capitale éthiopienne. Ils nient vouloir prendre le contrôle des régions, et prétextent vouloir sécuriser certaines routes pour empêcher les forces gouvernementales de se regrouper et favoriser, dans le même temps, le travail des organisations humanitaires.
Urgence alimentaire et centaines de milliers de déplacés
Selon le premier ministre éthiopien, le cessez-le-feu unilatéral décrété en juin avait aussi pour but de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire, mais les ONG affirment que l’accès est, globalement, plus difficile que jamais. Le 5 août, le gouvernement de M. Abiy a suspendu Médecins sans frontières (MSF) et le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), deux ONG présentes au Tigré, les accusant de « désinformation ».
Le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a quant à lui rapporté avoir pu accéder pour la première fois depuis le 13 juillet aux camps de réfugiés d’Adi Harush et de Mai Aini, dans la région du Tigré, où sont regroupés 23 000 hommes, femmes et enfants.
Après neuf mois de guerre, souvent loin de toute présence de médias, le conflit a déjà fait des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés. L’ONU considère que plus de 170 000 personnes ont été déplacées dans les régions d’Amhara et d’Afar, où plus de 300 000 personnes sont confrontées à des « niveaux d’urgence » alimentaire. Dans le Tigré, quelque 5,2 millions de personnes – soit plus de 90 % de la population du Tigré – vivent grâce à l’aide extérieure, selon l’ONU, qui parle de 400 000 hommes, femmes et enfants vivant dans des conditions de famine.
La guerre menace aussi des joyaux archéologiques. Lalibela, ville emblématique de la région Amhara, a été prise, le 5 août, par les rebelles. Classée au Patrimoine mondial de l’Unesco, elle est célèbre pour ses onze églises taillées dans le roc vers le XIIIe siècle.
L’Unesco avait appelé, le 6 août, « à s’abstenir de tout acte qui pourrait exposer à des dommages » ce lieu de « pèlerinage, de dévotion et de paix », et demandé « que toutes les précautions nécessaires soient prises pour empêcher toute tentative de pillage et de saccage des biens culturels situés dans cette zone ».
Source: Le monde