Au moins 51 civils ont été tués dimanche dans des attaques simultanées menées dans quatre villages de la commune de Ouatagouna par des terroristes.
« Ils ont abattu tous ceux qu’ils ont rencontrés sur leur passage », confie, sous le choc, Waly Sissoko, préfet du cercle d’Ansongo, une circonscription située à l’est du Mali, non loin des frontières avec le Niger et le Burkina Faso. Dimanche 8 août, vers 18 heures, au moins 51 civils ont été tués dans des attaques simultanées menées dans quatre villages de la commune de Ouatagouna par un groupe terroriste. Un bilan provisoire, dressé par la préfecture.
Si le motif de cette tuerie reste encore flou, plusieurs sources sécuritaires estiment que les djihadistes ont mené une « expédition punitive », en représailles à l’arrestation récente de « plusieurs cadres djihadistes », à proximité de Ouatagouna. « Quand l’armée arrête un terroriste, ce sont nous, les civils, qui trinquons, se désespère Ali (le prénom a été changé), un ressortissant du cercle d’Ansongo. Les terroristes pensent que nous informons l’armée sur leurs positions, alors ils nous massacrent. »
D’après cet habitant, cela fait pourtant plusieurs mois que plus aucun civil de la zone n’ose échanger avec les forces armées, qu’elles soient composées de casques bleus déployés au sein de la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), des forces armées maliennes (FAMa) ou de militaires français (de l’opération antiterroriste « Barkhane »). Depuis le début de la guerre déclenchée au nord du Mali en 2012, aucune ne parvient à enrayer la progression des conflits djihadistes qui métastasent vers le sud, au point de déstabiliser les Etats voisins.
Châtiments cruels
Dans le cercle d’Ansongo, deux groupes terrorisent la population : le Groupe de soutien de l’islam et des musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaida) et l’organisation Etat islamique au grand Sahara (EIGS, qui a prêté allégeance à l’Etat islamique). Les attaques simultanées de Ouatagouna n’ont pour l’instant pas été revendiquées mais plusieurs sources les attribuent à l’EIGS au vu du mode opératoire employé. Plus sanguinaire que le GSIM, qui cible davantage les militaires, l’EIGS n’hésite pas, au contraire, à frapper massivement les civils. Ou à infliger des châtiments cruels.
Le 2 mai, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Ouatagouna, des membres de l’EIGS ont amputé, en public, la main droite et le pied gauche de trois présumés voleurs. Le 15 mai, à Tessit, toujours dans le cercle d’Ansongo, le groupe s’était attaqué aux soldats maliens, tuant quinze d’entre eux.
« Là-bas, l’EIGS et le GSIM font la loi », soutient une source sécuritaire. La forêt d’Ansongo, qui sépare le Mali du Niger, est une zone de repli stratégique pour les groupes terroristes opérant au Liptako-Gourma, dans cette zone dite des trois frontières, à cheval sur le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Mal équipées et mal formées, les FAMa peinent à accéder et plus encore à contrôler cette forêt. Au point qu’en novembre 2019, l’armée malienne, déjà harcelée par les djihadistes, avait annoncé sa décision de se replier de certains camps situés aux abords des bois.
Fuite des représentants de l’Etat
Depuis, la brousse de l’ensemble du cercle est largement gouvernée par l’ennemi et les attaques persistent : plus de 385 personnes ont été tuées dans le cercle d’Ansongo lors d’une centaine d’incidents depuis août 2020, selon l’ONG Armed Conflict Location and Event Data Project. Esseulés face à la menace djihadiste, les représentants de l’Etat ont massivement fui. Plus des trois quarts des maires du cercle ne sont actuellement pas à leur poste, selon nos informations.
Pourtant, la zone des trois frontières concentre l’essentiel de la lutte antiterroriste. Force conjointe du G5 Sahel, force européenne « Takuba », « Barkhane », Minusma et FAMa y sont présents. A la suite de l’annonce d’Emmanuel Macron de la « transformation profonde » de la présence militaire française au Sahel formulée le 10 juin, la priorité de l’intervention antiterroriste française dans la région a aussi été recentrée sur le Liptako-Gourma.
L’EIGS, l’ennemi numéro un de la France au Sahel depuis le sommet de Pau (en janvier 2020), y a été durement frappé. Fin juillet, le cabinet de la ministre des armées, Florence Parly, annonçait la « neutralisation » de deux cadres de l’organisation par l’armée française dans la région de Ménaka, voisine d’Ansongo.
« La priorité des forces armées devrait être de protéger les civils et non de décapiter les terroristes car les têtes repoussent », analyse une chercheuse sahélienne qui souhaite rester anonyme. A Ouatagouna, ni l’armée française, ni la Minusma, ni les FAMa n’ont pu empêcher le massacre du 8 août. Plusieurs sources locales soutiennent pourtant avoir alerté les autorités. En vain.
Source: Le Monde