Seules surprises : aux affaires étrangères, Sabri Boukadoum est remplacé par Ramtane Lamamra, et Abderrachid Tebbi devient garde des sceaux à la place de Belkacem Zeghmati.
L’Algérie s’est dotée, mercredi 7 juillet, d’un nouveau gouvernement qui voit la moitié des ministres sortants reconduits, après des élections législatives marquées par une abstention record et la répression du mouvement contestataire du Hirak. Le président Abdelmadjid Tebboune a dévoilé la composition de l’équipe gouvernementale, sans changement des portefeuilles régaliens à l’exception des affaires étrangères et de la justice, selon un communiqué officiel.
Seule grosse surprise : aux affaires étrangères, Sabri Boukadoum est remplacé par l’ex-diplomate Ramtane Lamamra, déjà chargé de la politique extérieure sous le président Abdelaziz Bouteflika, chassé du pouvoir par la rue en avril 2019. M. Lamamra, un vétéran des chancelleries et de la diplomatie multilatérale, notamment en Afrique, avait été pressenti en avril 2020 pour être l’envoyé spécial des Nations unies en Libye, mais son nom n’avait finalement pas été retenu en raison de l’opposition de certains pays arabes.
Un autre ministre a servi dans un gouvernement nommé par M. Bouteflika : le titulaire de l’éducation nationale, Abdelhakim Belabed. Le premier président de la Cour suprême, Abderrachid Tebbi, devient garde des sceaux à la place de l’impopulaire Belkacem Zeghmati, associé à la répression de l’opposition et à la lutte contre la corruption. En ce qui concerne les médias, sous haute surveillance, Ammar Belhimer conserve le fauteuil de ministre de la communication, mais il n’est plus porte-parole du gouvernement.
« On a droit à une Algérie d’occasion »
La nouvelle équipe est composée de 34 membres, dont quatre femmes seulement, le même nombre qu’auparavant. Dix-sept ministres ont été reconduits, dont ceux de l’intérieur, Kamel Beldjoud, de la santé, Abderrahmane Benbouzid, du commerce, Kamel Rezig, et de l’énergie, Mohamed Arkab. « Au lieu d’une Algérie nouvelle, on a droit à une Algérie d’occasion », a réagi à chaud Sofiane, cadre supérieur dans une multinationale, en référence au slogan de M. Tebboune.
Le 30 juin, le chef de l’Etat avait nommé au poste de premier ministre Aïmène Benabderahmane, un technocrate, ministre des finances dans l’équipe précédente. M. Benabderahmane va garder ses fonctions de grand argentier. Il aura pour tâche prioritaire de redresser la situation socio-économique, au moment où le pays traverse une grave crise. La liste du gouvernement – composée en bonne partie de technocrates plutôt que de politiciens – ne semble pas augurer de changement majeur de cap politique. Le 1er mars, lors d’un remaniement ministériel mineur, le président Tebboune avait pourtant promis qu’un changement profond du gouvernement interviendrait après les élections législatives.
Mais le scrutin du 12 juin a été remporté par le Front de libération nationale (FLN, au pouvoir), des indépendants ralliés au chef de l’Etat et des petits partis proches du pouvoir. Le vote a été marqué par une abstention record (77 %), dans un pays plongé dans une impasse politique depuis le début du soulèvement populaire du Hirak, en 2019, et sur fond de répression généralisée. Ces élections avaient été rejetées par une partie de l’opposition et le Hirak, qui réclame un changement radical du « système » politique en place depuis l’indépendance (1962). La nouvelle assemblée nationale doit entrer en fonction jeudi.
Une feuille de route « suicidaire »
Le pouvoir est aujourd’hui déterminé à poursuivre sa normalisation politique et institutionnelle après le séisme du Hirak, aujourd’hui affaibli par la répression et les divisions, mais en ignorant les revendications de la rue : Etat de droit, transition démocratique, souveraineté populaire, justice indépendante.
Lors d’une conférence de presse, mercredi à Alger, des représentants de partis politiques et de la société civile ont dénoncé « la situation inquiétante des libertés et des droits fondamentaux ». Ils ont réclamé « la libération des détenus d’opinion, l’arrêt de la répression et le retrait de la “feuille de route” suicidaire du pouvoir ».
Plus de 300 personnes sont actuellement en prison en lien avec le Hirak et/ou les libertés individuelles, selon le Comité national de libération des détenus (CNLD), une association de soutien. Le président Tebboune a ordonné dimanche de relâcher des jeunes prisonniers incarcérés pour avoir pris part à des manifestations du Hirak. Mais « seulement 15 des 18 détenus qui devaient être libérés dimanche l’ont été », a déploré le vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), Saïd Salhi.
Source: Le Monde