Acquitté de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI), l’ex-président Laurent Gbagbo est rentré jeudi en Côte d’Ivoire après dix ans d’absence, dans une atmosphère tendue.
C’est son acquittement définitif le 31 mars qui a rendu possible ce retour, de même que le feu vert donné par son rival, le président Alassane Ouattara, au nom de la “réconciliation nationale”.
M. Gbagbo a été acclamé à sa descente d’avion par des centaines de personnes, celles qui avaient pu avoir accès à l’aéroport, ses proches, les responsables de son parti, le Front populaire ivoirien (FPI) et le personnel de l’aéroport et de compagnies aériennes, ont constaté des journalistes de l’AFP.
Mais peu avant l’atterrissage vers 16H30 (GMT et locales), ces mêmes journalistes ont entendu des tirs et vu des fumées de gaz lacrymogènes, tout près de l’aéroport.
Depuis jeudi matin, la police disperse avec du gaz lacrymogène tous ceux qui tentent de se rassembler près de l’aéroport, situé dans le quartier de Port-Bouët où, selon des témoins, des échauffourées ont opposé les forces de l’ordre à des partisans de M. Gbagbo.
Les manifestants repoussés ne cachaient pas leur colère de voir les accès à l’aéroport bloqués, sauf pour les voyageurs devant prendre un avion et les journalistes accrédités.
– Populaire “sans triomphalisme” –
Avant son départ de Bruxelles, son avocate Habiba Touré qui a voyagé avec lui a déclaré à l’AFP qu’il était “content, enthousiaste et veut jouer sa partition pour essayer de réconcilier les Ivoiriens. Il a besoin de parler à son peuple”.
Laurent Gbagbo, 76 ans, vivait à Bruxelles depuis son acquittement par la CPI en janvier 2019, confirmé en appel le 31 mars 2021.
A son ancien QG de campagne pour l’élection présidentielle de 2010, au quartier d’Attoban où il doit se rendre, des centaines de personnes étaient rassemblées, a constaté un journaliste de l’AFP.
Entre l’aéroport, situé dans le Sud d’Abidjan, et Attoban dans le Nord, son cortège traversera plusieurs quartiers où la foule devrait tenter de se masser pour l’acclamer.
Les rassemblements le long du cortège n’ont pas été interdits par le gouvernement, mais le ministre de la Communication Amadou Coulibaly a affirmé à l’AFP avoir appris l’itinéraire “par la presse”.
Il a qualifié les tentatives des partisans de M. Gbagbo de rejoindre l’aéroport de “troubles à l’ordre public”, car je “n’ai pas entendu d’appel à aller l’accueillir”. “Il n’y a pas d’abus dans le maintien de l’ordre”, a-t-il affirmé.
“Nous sommes surpris par cette réaction injustifiée”, a déclaré à l’AFP Justin Katinan Koné, porte-parole de Laurent Gbagbo, affirmant que des “arrestations ont eu lieu” et que des cars de partisans de l’ex-président venus de province ont été “bloqués à l’entrée d’Abidjan”.
L’ampleur de l’accueil de l’ex-président a été au coeur des récentes négociations entre le pouvoir et le FPI: le premier souhaitant qu’il soit sans “triomphalisme”, le second qu’il soit populaire en permettant au plus grand nombre de ses partisans d’être présents dans les rues d’Abidjan. L’enjeu était la sécurité de M. Gbagbo lui-même mais aussi d’éviter tout débordement ou violence.
– “Se retrouver” –
A Yopougon, quartier populaire d’Abidjan considéré comme pro-Gbagbo on attend son retour avec impatience, mais “on veut le voir pour le croire”, dit habitant du quartier portant un maillot sur lequel est écrit: “Gbagbo acquitté, merci Seigneur”.
A l’opposé, ses adversaires estiment toujours qu’il a précipité son pays dans le chaos en refusant sa défaite face à Alassane Ouattara à la présidentielle de 2010. Ce refus a provoqué une grave crise post-électorale, pendant laquelle quelque 3.000 personnes ont été tuées.
M. Gbagbo, au pouvoir depuis 2000, avait été arrêté en avril 2011 à Abidjan puis transféré à la CPI à La Haye.
Ses proches assurent qu’il rentre sans esprit de vengeance mais pour oeuvrer à la politique de “réconciliation nationale”.
La Côte d’Ivoire est encore meurtrie par deux décennies de violences politico-ethniques, les dernières remontant à la dernière présidentielle, en 2020, qui ont fait une centaine de morts.
Alassane Ouattara a été réélu pour un 3e mandat controversé lors d’un scrutin boycotté par l’opposition qui jugeait ce nouveau mandat anticonstitutionnel.
La Côte d’Ivoire “doit se retrouver”, estime Assoa Adou, secrétaire général du FPI, car “elle est aujourd’hui en danger de déstabilisation par des jihadistes” après des attaques contre l’armée qui ont récemment tué quatre militaires dans le Nord, à la frontière avec le Burkina Faso.
Laurent Gbagbo reste sous le coup d’une condamnation en Côte d’Ivoire à 20 ans de prison pour le “braquage” de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pendant la crise de 2010-2011, mais le gouvernement a laissé entendre qu’elle serait abandonnée.
Source: La Minute info