Avec moins de 5 millions de cas déclarés, la population s’interroge sur la nécessité de la vaccination. Les fausses informations circulant sur les réseaux sociaux alimentent les craintes.
Lorsque la République démocratique du Congo (RDC) a annoncé, fin avril, qu’elle devrait rendre à l’initiative Covax 1,3 million de doses de vaccins AstraZeneca (soit 80 % de la quantité reçue) faute d’être capable de les administrer avant leur date de péremption, le discours jusqu’alors distillé à bas bruit sur « l’hésitation devant la vaccination » en Afrique a pris une nouvelle dimension. Quelques jours plus tôt, le Soudan du Sud et le Malawi avaient déjà provoqué la stupéfaction en détruisant respectivement 60 000 et 16 000 doses en raison du manque de candidats.
Faut-il encore parler d’hésitation, ou plutôt de franche résistance ? Alors que seulement 1 % des vaccins contre le Covid-19 administrés dans le monde ont bénéficié au continent, il apparaît clairement que les gouvernements africains n’ont pas pour seul défi de se procurer des doses en quantité suffisante : il leur faut aussi trouver les mots pour convaincre les populations, le moment venu, de pousser la porte des centres de santé afin de recevoir leurs injections.
« Dans ce pays [la RDC] grand comme l’Europe, nous devons faire face à des obstacles logistiques que nous n’aurions pu imaginer. Mais le défi premier est celui de la communication », admet Jean-Jacques Simon, porte-parole de l’Unicef à Kinshasa. « Comment convaincre que le Covid-19 est une maladie dangereuse ? Officiellement, 772 personnes en sont mortes, tandis que le paludisme fait plus de 10 000 victimes par an et que la rougeole a tué près de 6 000 personnes en 2019, en grande majorité des enfants de moins de 5 ans. »
L’Unicef, qui est chargée d’acheminer les vaccins fournis gratuitement par le mécanisme de solidarité internationale Covax, va réallouer le quota congolais à la Centrafrique, au Sénégal, au Togo et au Ghana – ce dernier pays étant l’un des rares, avec le Rwanda, à avoir consommé rapidement le premier lot qui lui a été attribué.
« Une maladie de Blancs »
A l’échelle d’un continent peuplé de 1,3 milliard d’habitants, les chiffres ne sont pas le meilleur atout des autorités sanitaires pour convaincre de la nécessité d’acquérir une immunité collective. Selon les données officielles rapportées par les Etats à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à peine 5 millions de personnes ont été contaminées par le Covid-19 depuis le début de la pandémie. Soit moins qu’en France. A la date du 9 mai, 124 229 personnes y avaient succombé, dont près de 45 % en Afrique du Sud, pays le plus touché.
Certes, ces chiffres ne reflètent que partiellement la réalité, mais même le bilan plus meurtrier de la deuxième vague n’a pas vraiment entamé l’idée répandue que le Covid-19 est « une maladie de Blancs » qui ne concerne pas une population dont plus de la moitié a moins de 19 ans. « Beaucoup ne croient pas au danger du Covid-19. Allez dans n’importe quelle ville, dans n’importe quel village, rares sont ceux qui portent aujourd’hui le masque », constate l’épidémiologiste Samba Sow, envoyé spécial de l’OMS pour le Covid-19 en Afrique de l’Ouest.
Indifférence d’un côté, crainte de l’autre, alimentée par des questionnements légitimes ou les plus folles rumeurs. Comme en Europe, les risques potentiels de caillots sanguins liés au vaccin AstraZeneca ont donné un coup d’arrêt aux campagnes de vaccination à peine lancées. La décision de l’Afrique du Sud d’abandonner le vaccin suédo-britannique en raison de sa moindre efficacité sur le variant B.1.351 a donné un argument supplémentaire aux méfiants. Le variant dit « sud-africain » circule aujourd’hui dans 23 pays du continent. Semaine après semaine, le bureau Afrique de l’OMS et les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (CDC-Afrique) ont beau répéter que « les bénéfices du vaccin l’emportent sur les risques », le doute est installé.
Les chefs d’Etat, les ministres de la santé, bras de chemise relevé pour recevoir leur injection, prennent la pause devant les caméras en espérant rassurer. Mais même la véracité de ces clichés est mise en cause. En Ouganda, la ministre de la santé, Jane Ruth Aceng, a dû publier un communiqué pour démentir des affirmations circulant sur Twitter selon lesquelles elle ne s’était en réalité pas fait vacciner. « Il y a toujours eu des réticences à la vaccination, mais avec les réseaux sociaux, les rumeurs nous précèdent. Nous avons un sérieux problème de communication », reconnaît le docteur Samba Sow. Pour sa part, le ministre gabonais de la santé, Guy Patrick Obiang Ndong, ne cache pas devoir faire face à « un manque d’adhésion ». Un mois après le début de la campagne de vaccination, moins de 10 % des 100 000 doses offertes par le chinois Sinopharm ont été écoulées.
Communication tous azimuts
Partout, des plans de « sensibilisation » sont élaborés pour marteler le credo sur l’efficacité et l’innocuité des vaccins. Fin mars, l’OMS a annoncé la création de Viral Facts Afrique, un projet réunissant des experts de la vérification des faits et des institutions sanitaires. « Ce dispositif a pour but de réfuter rapidement les mythes là où ils se propagent et d’aider les populations à faire la distinction entre les faits avérés, qui peuvent sauver des vies, et le bruit », a expliqué la docteure Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique. Ses messages seront diffusés sur Facebook, Twitter et Instagram, en anglais et en français, avant d’être traduits dans des langues locales.
En Côte d’Ivoire, où la vaccination a été ouverte à toutes les personnes de plus de 18 ans pour ne pas perdre les 500 000 doses reçues de Covax avant fin juin, les autorités ont sonné la mobilisation générale. « Nous allons y arriver. Nous sommes passés de 1 000 à 8 000 injections par jour. La communication est menée tous azimuts : nous rencontrons les syndicats de médecins, de pharmaciens, les pouvoirs locaux, les chefs religieux, les associations de femmes… », assure Joseph Bénié, directeur de l’Institut national d’hygiène publique, tout en reconnaissant n’avoir jamais dans sa carrière fait face à « une réticence aussi importante ».
Mais gagner la confiance n’est pas seulement affaire de messages et de bonnes informations. « Le crédit dont jouit ou pas le messager est tout aussi capital », rappelle Charline Burton, directrice de la branche européenne de l’ONG Search for Common Ground, spécialisée dans l’accompagnement des processus de paix : « Il faut identifier des leaders auxquels les communautés font confiance pour que le message soit entendu. A fortiori dans les pays en situation de conflit ou de post-conflit. » Les récentes épidémies d’Ebola en RDC ont montré que lorsque les populations se méfient des autorités ou du personnel chargé de conduire la riposte sanitaire, les campagnes classiques de sensibilisation ne fonctionnent pas.
Quelles qu’en soient les raisons, le doute ou le rejet que suscite la vaccination contre le Covid-19 n’est pas une bonne nouvelle. Elle confirme que le chemin risque d’être bien long avant que le continent parvienne à vacciner au moins 60 % de sa population, objectif que s’est fixé l’Union africaine.
Source: Le Monde