Le Congrès national africain (ANC), parti historique au pouvoir en Afrique du Sud, a suspendu son secrétaire général, Elias « Ace » Magashule, accusé de corruption. « Vous êtes, par la présente, suspendu temporairement à partir du 3 mai 2021 jusqu’à l’issue finale de votre procédure judiciaire », a informé Jessie Duarte, secrétaire générale adjointe de l’ANC, dans une lettre adressée à M. Magashule, indiquant que cette décision serait « dans le meilleur intérêt » du parti.
Fin mars, Ace Magashule, 61 ans, sourcils froncés et perpétuel air renfrogné, crâne rasé et lunettes strictes, avait reçu un ultimatum de trente jours pour se retirer après avoir été accusé de détournement de fonds publics alors qu’il était premier ministre du Free State (centre), une des neuf provinces d’Afrique du Sud, où une biographie explosive intitulée Gangster State l’accuse d’avoir régné en mafieux. Mais il a laissé passer la date butoir, la semaine dernière, forçant l’ANC à prendre ses responsabilités et à le suspendre.
Actuellement en liberté sous caution, M. Magushule sera jugé en août, aux côtés d’une quinzaine de co-accusés, pour avoir notamment volé de l’argent public mis de côté en 2014 afin de désamianter des logements sociaux lorsqu’il était premier ministre du Free State. Les travaux n’ont jamais eu lieu : les enquêteurs estiment que l’équivalent de près de 10 millions d’euros ont été empochés.
« Faire le ménage »
Sa suspension, qui lui a été signifiée par une lettre signée de son adjointe au nom de l’ANC, a pris effet lundi 3 mai et court jusqu’à l’aboutissement de son procès, a-t-on appris mercredi lorsque cette lettre a fuité dans les médias. « Tu as été inculpé et convoqué à comparaître devant un tribunal pour corruption et fraudes, vols et blanchiment », rappelle cette lettre. De nombreux internautes soulignaient que cette suspension ne privait par l’intéressé de son salaire, ce que la lettre confirme.
M. Magashule, premier haut responsable du parti à être mis à l’écart dans le sillage de la nouvelle politique anticorruption de l’ANC, a assuré qu’il n’irait nulle part. Au lieu de se retirer, il a sommé à son tour Cyril Ramaphosa de quitter temporairement ses fonctions de président, invoquant pour ce faire ses pouvoirs en tant que secrétaire général du parti.
Une réunion de la direction du parti, lundi, « a réaffirmé » la décision prise fin mars d’imposer à tout membre poursuivi pénalement « pour corruption ou d’autres crimes graves » de démissionner ou de s’exposer à une suspension. L’ANC, empêtré jusqu’au cou dans des affaires de corruption depuis plusieurs années, cherche à se refaire une virginité face à des électeurs écœurés. Mais les soutiens internes de M. Magashule sont nombreux, notamment parmi les partisans de l’ancien président Jacob Zuma, qui traîne lui-même des batteries de casseroles.
« C’est le premier signe vraiment fort que l’ANC est prêt à faire le ménage dans ses rangs. Il lui reste un sacré chemin à parcourir, mais c’est une condition préalable absolue pour s’attaquer à la corruption », s’est réjoui auprès de l’AFP David Lewis, directeur de l’ONG Corruption Watch. « Ils semblaient assez déterminés, mais ils sont aussi passés maîtres dans l’art des deuxième et troisième chances », a-t-il souligné, en écho aux nombreux sceptiques échaudés qui craignaient que l’ANC n’aille pas jusqu’au bout et glisse « Ace » sous le tapis sans l’affronter.
Une victoire pour Ramaphosa
« L’oncle Cyril », comme le surnomment les Sud-Africains en raison de sa bonhomie et de sa bonne volonté apparente, a semblé longtemps isolé dans ce bras de fer avec l’inoxydable sexagénaire, secrétaire général de l’ANC depuis 2017. Mais sa suspension – et le fait que suffisamment de dirigeants du parti donnent leur aval pour la rendre possible – est une douceur pour le président, qui a juré d’en finir avec le fléau de la corruption.
« C’est une victoire politique majeure pour lui », affirme Aleix Montana, chercheur à l’institut Verisk Maplecroft. M. Magashule écarté, le chef de l’Etat va pouvoir « renforcer son leadership sur le parti, lui donnant l’espace politique nécessaire pour mettre en œuvre ses réformes ». La mise à l’écart de M. Magashule représente « une consolidation du pouvoir du président Ramaphosa au sein de l’ANC » dans les luttes de factions actuelles qui « nuisent à la gouvernance », entre son courant et celui de « l’ancien président Jacob Zuma et Ace Magashule », analyse la Fondation De Klerk.
C’est aussi « une victoire pour l’ANC tout court », affirme le politologue Mcebisi Ndletyana, et « la démonstration que lorsque les citoyens s’expriment et se font entendre, ils peuvent faire bouger les lignes ».
Source: Le Monde