La France a rendu possible le génocide contre les Tutsis, un génocide qui était pourtant prévisible : voici la principale conclusion du rapport sur le rôle de la France commandé en 2017 par le gouvernement rwandais à un cabinet d’avocats américain et rendu public lundi 19 avril à Kigali. Un rapport, qui, comme celui de la commission Duclert, conclut à de lourdes responsabilités de l’État français, mais pas à une complicité de génocide.
« Des responsables français ont armé, conseillé, formé, équipé et protégé le régime rwandais de l’époque », voilà ce qu’indiquent les avocats du cabinet Levy Firestone Muse dans ce rapport présenté au gouvernement rwandais cet après-midi. Selon eux, la France n’a pas tenu compte de la volonté du gouvernement de Juvénal Habyarimana de détruire les Tutsis du Rwanda, et a agi pour renforcer et étendre son pouvoir et son influence en Afrique.
Contrairement au rapport Duclert, le rapport Muse évoque la période après 1994, et dénonce une opération de camouflage de la part de l’État français, qui aurait enterré son passé au Rwanda, déformé la vérité et protégé des génocidaires.
L’enquête est basée sur plus de 200 entretiens avec des témoins, des articles de journaux, des travaux académiques et des documents officiels…. Elle ne conclut pas à une complicité de génocide de la France, et ne recommande pas de poursuites judiciaires contre des responsables politiques français.
Le rapport Duclert et le rapport Muse ont des approches différentes, mais des conclusions convergentes a déclaré Vincent Biruta, le ministre des Affaires étrangères rwandais, lors d’une conférence de presse cet après-midi.
« Un espace politique nouveau » s’ouvre entre la France et le Rwanda, estime Paris
Ce rapport publié par le Rwanda sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsis en 1994 et la réaction de Kigali excluant la complicité de Paris ouvrent « un espace politique nouveau » pour « se projeter vers un avenir commun », a réagi lundi la présidence française. La France se félicite également que les autorités rwandaises excluent des poursuites judiciaires, par la voix de leur ministre des Affaires étrangères, Vincent Biruta, interviewé par le journal Le Monde, souligne-t-on à l’Élysée.
Le rapport Muse « indique que la France a rendu possible un génocide qui était prévisible », mais « je pense que la France n’a pas participé à la planification du génocide et que les Français n’ont pas participé aux tueries et aux exactions », déclare dans cet entretien le ministre rwandais, en assurant que « le gouvernement rwandais ne portera pas cette question devant une cour ».
Le chef de la diplomatie rwandaise estime dans cette interview que la publication de ce rapport, quelques semaines après celle du rapport d’une commission d’historiens français concluant à des responsabilités « lourdes et accablantes » de Paris dans la tragédie, va « contribuer à la réconciliation entre la France et le Rwanda ».
« Ces deux rapports donnent lieu à des conclusions qui ne sont pas les mêmes, mais ils ont le point commun de bouger les lignes et d’ouvrir un espace politique nouveau », a réagi lundi l’Élysée en soulignant une « étape importante au regard de la parole politique qui l’accompagne ».
Le rapport montre bien qu’il y a eu une responsabilité de la part de la France dans le génocide des Tutsis mais est très clair sur le fait qu’il n’y a pas eu de complicité de la part de l’Etat français, qu’il n’y a pas eu de participation au génocide et qu’il n’y a pas eu d’appui à la planification. Donc, cela montre à la fois la volonté des autorités rwandaises, du président Kagame de dire la vérité pour poser les bases d’une relation qui soit apaisée et qui permette d’avancer sur tous les sujets de coopération.
« Il a été beaucoup été écrit que les autorités françaises avaient fait beaucoup de chemin, explique un proche d’Emmanuel Macron, on peut dire qu’aujourd’hui ce chemin a également été parcouru du côté des autorités rwandaises ». En produisant un tel rapport, Kigali a aux yeux de l’Elysée « donné des gages pour converger vers une logique de rapprochement irréversible ».
Un rapprochement qui devrait se poursuivre par un déplacement d’Emmanuel Macron en mai à Kigali et la nomination d’un ambassadeur sur place. Par ailleurs le 18 mai, la France recevra à Paris le président rwandais Paul Kagame dans le cadre d’un sommet sur le financement des économies africaines, rappelle la présidence française.
Un rapport au ton relativement modéré
La France « porte une lourde responsabilité pour avoir rendu possible un génocide prévisible » au Rwanda. C’est la conclusion de ce rapport rwandais, mais il n’accuse pas Paris de complicité de génocide, pas plus que le rapport français Duclert publié, il y a trois semaines. C’est ce qui fait dire à Alain Gauthier, président du Collectif des Parties civiles, que le gouvernement rwandais a cherché, par ce rapport modéré, à apaiser les relations avec la France.
Personnellement, j’ai été frappé par le ton relativement modéré de ce rapport. Un ton modéré que l’on avait déjà senti dans les propos du président Kagame dans des commémorations […] Je pense qu’à partir de ce rapport, la France et le Rwanda vont pourvoir repartir sur des relations apaisées.
Source: Rfi