Le chef de l’État camerounais a prescrit un audit sur l’utilisation des fonds destinés à la lutte contre le coronavirus au moment où des informations persistantes font état de «graves» malversations financières. Alors que l’affaire fait grand bruit dans le pays, Paul Biya a décidé de reprendre en main la gestion des fonds alloués pour la pandémie.
S’achemine-t-on vers un scandale financier au Cameroun autour des fonds alloués pour la lutte contre la pandémie de coronavirus? C’est ce que peut bien indiquer une correspondance adressée par la présidence camerounaise, le 6 avril, au ministre de la justice Laurent Esso. Le document concerne la gestion des fonds alloués pour la lutte contre le Covid-19.
«En vous faisant tenir ci-joint thermocopie du rapport de la chambre des comptes de la Cour suprême, j’ai l’honneur de vous répercuter les hautes directives du chef de l’État prescrivant l’ouverture d’une enquête judiciaire contre les auteurs, coauteurs et complices des cas de malversations financières y relevés», est-il possible de lire dans le document rendu public par la présidence.
En effet, la lettre de la présidence s’appuie sur un premier rapport commandé par Paul Biya à la chambre des comptes de la Cour suprême, juridiction compétente pour contrôler et statuer sur les comptes publics et ceux des entreprises publiques et parapubliques. Ce rapport d’étape relatif à l’audit des fonds affectés à la lutte contre la pandémie fait d’ores et déjà état, selon des sources proches du dossier, «de nombreux dysfonctionnements» dans la gestion des fonds.
Dans la foulée, une autre lettre de la présidence adressée à la primature informe de la décision de la création d’une «Task Force pour la riposte contre le Covid-19» logée à la présidence de la République. Si la correspondance n’est pas plus explicite sur les missions de cette «Task Force», elle trahit selon nombre d’observateurs la volonté de Paul Biya de mieux contrôler les fonds alloués pour la maladie.
La pression du FMI
En effet, dès décembre 2020, Paul Biya avait prescrit un audit sur l’utilisation des fonds destinés à la lutte contre la pandémie. En plus des 226 millions de dollars débloqués par le Fonds monétaire international (FMI) en vue de renforcer le plan de riposte contre la propagation du Covid-19, il est question pour le Contrôle supérieur de l’État (CONSUPE) d’auditer sur une enveloppe de 180 milliards de francs CFA, (environ 326 millions de dollars), mobilisés par le gouvernement camerounais représentant «le fonds spécial de solidarité nationale pour la lutte contre le coronavirus et ses répercussions économiques et sociales».
Cet audit intervient également au moment où le Cameroun a négocié et obtenu du FMI un nouvel accord de financement destiné à la lutte contre le Covid-19 et dont le décaissement des fonds devrait intervenir courant avril 2021. Cependant, ce décaissement est conditionné à la présentation de l’audit de gestion de la première enveloppe débloquée par le FMI en mai 2020.
Alors que le sujet agite l’opinion et alimente toutes les hypothèses, Dieudonné Essomba, économiste, relève qu’«une opération d’audit est tout à fait normale dans la gestion, c’est prévu par la loi au Cameroun comme ailleurs».
«Au Cameroun, on est toujours dans le soupçon de détournement. Je pense que l’on devrait attendre la fin de l’audit pour questionner les résultats», lance-t-il
Pour Jean-Bruno Tagne, essayiste camerounais, auteur notamment de «Accordé avec fraude» (Ed. Shabel, 2019), «ce qui gêne, c’est qu’il y a comme quelque chose de malsain dans ce qui arrive. C’est-à-dire qu’on avance déjà des noms des potentiels coupables avant même que les résultats de l’audit ne soient connus».
Un scandale financier de trop?
Depuis le début de la pandémie, la polémique n’a de cesse d’enfler autour de la gestion des fonds et des dons dédiés à la lutte contre le coronavirus. D’ailleurs, Jean-Michel Nintcheu, député du Social Democratic Front (SDF, opposition), en a fait son cheval de bataille. Le parlementaire a longtemps interpelé le gouvernement, notamment le ministre de la Santé publique, sur la gestion des moyens mobilisés pour endiguer la propagation de l’épidémie.
Le député évoquait «de graves soupçons de détournements, de surfacturations et de rétrocommissions» qui pèsent sur l’ensemble des opérations, sollicitant de fait une commission d’enquête pour faire la lumière sur cette affaire. Des allégations de malversations rejetées en bloc par le ministre Manaouda Malachie au cours de nombreuses sorties médiatiques. Cette énième polémique a le mérite de susciter des questionnements, souligne Jean-Bruno Tagne, sur le suivi de l’ensemble des grands chantiers au Cameroun: «J’espère que cette opération d’audit ne va pas s’arrêter au fonds Covid. Il faut l’étendre sur les financements engagés dans les chantiers de la CAN [Coupe d’Afrique des nations de football, ndlr] qu’on aurait dû organiser en 2019, mais qui a été reportée parce qu’on n’était pas encore prêt, malgré les fortes sommes d’argent débloquées pour la circonstance».
«On espère également qu’il y aura un audit sur les avions MA60 que l’État avait achetés très cher mais qui aujourd’hui ne volent plus. Un audit également sur l’interminable chantier de l’autoroute Yaoundé-Nsimalen qui n’est que de 20 kilomètres, mais qui dure depuis trois ans. Il en va de même du chantier de l’autoroute Douala-Yaoundé qui dure depuis bientôt 10 ans. Les gestionnaires publics doivent apprendre à rendre compte», suggère Jean-Bruno Tagne.
En attendant l’issue de ces opérations engagées par Paul Biya, le Cameroun, qui compte à la date du 14 avril plus de 61.000 cas pour plus 900 décès, a reçu dimanche 11 avril les premières doses de vaccin. Il s’agit d’un stock de 200.000 doses du vaccin Sinopharm offertes par le gouvernement chinois. La campagne de vaccination a aussi été lancée avec comme cible prioritaire les personnels de santé.
Source: Sputnik