Le président de la République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi, a nommé lundi 12 avril un gouvernement entièrement à sa main, qui tourne la page de l’encombrante coalition avec son prédécesseur Joseph Kabila.
Un tout petit moins pléthorique, un peu plus féminin, plus jeune : présenté après des semaines de tractations et de marchandages, le nouvel exécutif de « l’union sacrée de la nation » compte 56 membres dont 14 femmes, d’après l’ordonnance présidentielle lue à la télévision d’Etat (RTNC) par le porte-parole du président, Kasongo Mwema. L’équipe sortante alignait 66 membres.
« Représentativité féminine : 27 %. Moyenne d’âge : 47 ans. Nouvelles figures : 80 %. Les priorités : sécurité, santé, enseignement, justice, agriculture, pêche et élevage, économie, processus électoral, infrastructure, numérique », a résumé sur Twitter le nouveau premier ministre nommé le 15 février, Jean-Michel Sama Lukonde.
Ce nouveau gouvernement tourne définitivement l’acte I du quinquennat Tshisekedi (janvier 2019 – décembre 2020), marqué par l’échec de la coalition avec Joseph Kabila. Depuis le lancement d’une offensive politique le 6 décembre contre son ex-allié, M. Tshisekedi et ses partisans ont finalement réussi, à force de débauchages, à renverser la majorité de M. Kabila dans les deux chambres.
Emprise sur l’appareil sécuritaire
Ce nouveau gouvernement doit désormais relever des défis herculéens, à la mesure du plus grand pays d’Afrique subsaharienne et l’un des plus instables aussi : massacres quotidiens de civils dans l’est, lutte contre la corruption, recettes fiscales dérisoires pour des besoins immenses pour l’instant largement assumés par les « partenaires » et « bailleurs » de la RDC.
Des proches des anciens opposants Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba occupent des postes stratégiques. C’est le cas d’Eve Bazaiba, secrétaire générale du Mouvement de libération du Congo (MLC) de M. Bemba, qui est nommée ministre de l’environnement avec rang de vice-premier ministre. Lors des prochains sommets contre le réchauffement climatique, Mme Bazaiba aura la charge de monnayer le rôle de la RDC, qui abrite une bonne moitié de la forêt du bassin du Congo.
C’est également un proche de M. Bemba membre du MLC qui prend le ministère de la santé, Jean-Jacques Mbungani. Un poste important dans un pays traversé par de multiples épidémies (Covid-19, tuberculose, malaria, etc.). Christophe Lutundula, un partisan de M. Katumbi, a été nommé au ministère des affaires étrangères. Christian Mwando, un autre lieutenant de l’ancien gouverneur du Katanga, a pris le ministère du plan.
Le président resserre son emprise sur l’appareil sécuritaire : le ministre de la défense est un général médecin à la retraite, Gilbert Kabanda, proche du président, et celui de l’intérieur est Daniel Aselo Okito, secrétaire général adjoint de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti présidentiel.
Des transfuges de la « Kabilie »
Les ministères des finances et de l’enseignement sont également confiés aux partisans du chef de l’État. Le parti de Vital Kamerhe, ex-directeur de cabinet du chef de l’Etat condamné à vingt ans de prison dans une affaire de corruption, conserve l’important ministère du budget et celui des affaires foncières.
Des transfuges de la « Kabilie » – le nom donné aux proches de M. Kabila – sont récompensés. Leur chef de file Jean-Pierre Lihau est désigné ministre de la Fonction publique avec rang de vice-Premier ministre.
Fils de l’opposant historique Etienne Tshisekedi, Félix Thisekedi a été proclamé vainqueur de la présidentielle controversée de décembre 2018. Investi le 24 janvier 2019, l’ancien opposant a dirigé le pays jusqu’en novembre 2020 en coalition avec le camp de son prédécesseur Kabila qui avait gardé la majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Le 6 décembre, le chef de l’Etat a mis fin à cette coalition et s’est lancé dans une conquête de tous les leviers du pouvoir sur fond de menace de la dissolution du Parlement.
Tous les proches de l’ancien président Kabila ont alors été écartés successivement de la tête des institutions politiques et judiciaires du pays. Une bonne partie de la classe politique a quitté M. Kabila pour faire allégeance à M. Tshisekedi.
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Soutenu par les Américains et l’Union européenne, M. Tshisekedi, 57 ans, a désormais les mains libres pour appliquer son programme : lutter contre la corruption et la misère qui touche les deux tiers de la population et ramener la paix dans l’est du pays, ensanglanté par les violences des groupes armés.
La RDC est déstabilisée dans sa partie orientale depuis près de trois décennies. Une centaine de groupes armés y sont actifs, dont les Forces démocratiques alliées (ADF), groupe armé musulman d’origine ougandaise, ayant fait souche dans la région de Béni et aujourd’hui particulièrement meurtrier.
Source: Le Monde