Fatou Bensouda précise que, pour la première fois, la destruction de biens culturels avait été considérée comme un crime de guerre par la justice internationale.
Voile sur la tête, du même vert que son large boubou, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) Fatou Bensouda arpente silencieusement les allées de la mosquée Djingarey Bey de Tombouctou, classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Elle écoute, studieuse, les explications du maître des lieux sur le crépissage annuel des murs, sur une entrée d’air. A une centaine de mètres au-dehors, les mausolées.
La visite semblerait touristique. Elle ne l’est pas. Neuf ans après l’occupation de Tombouctou par les djihadistes en 2012, l’Unesco, le gouvernement malien, la CPI et le Fonds des victimes de la CPI sont tous là pour visiter le patrimoine ciblé à l’époque et aujourd’hui reconstruit ou restauré, et la visite de ce mercredi 31 mars a des airs de revanche sur l’histoire.
A l’époque, au nom de la lutte contre « l’idolâtrie », le groupe djihadiste Ansar Dine, affilié à Al-Qaida, s’en était pris à la pioche à quatorze mausolées de saints.
« Pour moi, la boucle est bouclée ! », explique Fatou Bensouda, qui ne cache pas sa fierté, à quelques semaines de quitter ses fonctions. La condamnation en 2016 d’un djihadiste malien, Ahmad Al Faqi Al Mahdi, reconnu coupable d’avoir participé à la destruction des mausolées, est l’une de ses « victoires » de magistrate. Pour la première fois, la destruction de biens culturels avait été considérée comme un crime de guerre par la justice.
« Ce ne sont que des bâtiments »
Mardi, un euro symbolique a été remis par le Fonds des victimes au Mali et à la communauté internationale. D’autres réparations financières sont prévues pour les descendants des saints dont les sépultures ont été attaquées.
« Quand j’ai commencé à enquêter avec mes équipes, les gens ont demandé : “Pourquoi Bensouda n’enquête pas sur des crimes de sang, ce ne sont que des bâtiments”, précise-t-elle. Mais c’était très important ! Il fallait envoyer le message que détruire des sites classés à l’Unesco ne pouvait se faire dans l’impunité. »
Les vieux manuscrits de l’ancienne ville savante sont désormais sauvegardés au centre Ahmed Baba. Chèche rouge sur la tête, le jeune étudiant Sékou Baba tient dans ses mains un Coran, pas encore daté. Il montre comment les feuilles jaunies par les siècles sont stockées, restaurées.
Soudain, devant la salle d’archivage n° 3, deux militaires maliens s’exclament : « Eh ! Mais c’est Fatou Bensouda ! » L’ancienne ministre gambienne fait comme si de rien n’était, lâche un sourire en coin derrière son masque et reprend sa marche. La visite se fait au pas de course et sous la protection de dizaines de casques bleus de la mission de l’ONU au Mali.
« Ce qui est à Tombouctou est à l’humanité »
Entre les agissements des djihadistes, des groupes armés et des trafiquants, la situation reste volatile dans la région. Tombouctou elle-même est gangrenée par de vieilles tensions intercommunautaires entre populations sédentaires noires et nomades arabes.
Arguant que la culture est facteur de cohésion, le directeur général adjoint de l’Unesco Xing Qu s’est voulu formel devant les imams des trois grandes mosquées : « Votre patrimoine est notre patrimoine. Ce qui est à Tombouctou est à l’humanité. » Les imams ont écouté, puis l’un s’est tourné vers Mme Bensouda : « Al Mahdi a été condamné, mais il agissait sous la responsabilité d’un autre, Iyad Ag-Ghali. »
A l’époque à la tête d’Ansar Dine, celui-ci dirige aujourd’hui la principale nébuleuse djihadiste affiliée à Al-Qaida, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). « Notre travail au Mali n’est pas fini », répond la procureure.
Après une énième photo symbolique, Fatou Bensouda vient s’enquérir auprès des journalistes de l’AFP des « nouvelles de La Haye », le siège de la CPI qui statuait le même jour sur l’affaire de crimes contre l’humanité contre l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et l’un de ses proches, Charles Blé Goudé. Les deux hommes ont été acquittés en 2019 mais, elle, Fatou Bensouda avait fait appel.
« Ce n’est pas vrai ! », lâche-t-elle spontanément quand elle apprend que les acquittements sont confirmés, avant de finir la visite enfermée dans sa voiture blindée, à passer des coups de téléphone. Elle a sobrement tweeté en fin de journée avoir « pris acte » du jugement.
Source: La Monde