Depuis lundi, la cour d’assises de Paris juge trois pilotes et copilotes accusés d’assassinat et tentative d’assassinat dans l’affaire du bombardement de Bouaké, en Côte d’Ivoire, en 2004. Ce mercredi, l’un des 38 soldats français blessés dans le bombardement, l’un des plus gravement touchés d’ailleurs, et le mère d’une victime ont livré des témoignages poignants.
Djamel Smaïdi a reçu ce jour-là une balle et des éclats de roquette sur tout le côté gauche, du visage au pied. Si grièvement blessé, que l’autorité militaire le donne un temps pour mort. Pris en charge à l’Hôpital Bégin, à Paris, ce soldat, alors conducteur de véhicules militaires, passe tout près de l’amputation. Un médecin parvient à lui sauver son pied, mais le calvaire ne fait là que commencer.
60 opérations différentes et un stress post-traumatique
Durant sept mois, il subit une soixantaine d’opérations. En parallèle, on lui diagnostique un trouble de stress post-traumatique. « Je n’arrivais pas à dormir, raconte-t-il. Je voyais des flashs de mes camarades ». Aujourd’hui encore, il ne parvient pas à faire des nuits complètes. Son calvaire, c’est la première fois qu’il le raconte. « Je n’arrivais pas à en parler à mon épouse, explique-t-il. C’était mon métier, il n’y a rien à dire. J’ai créé une carapace pour moi-même et pour ma famille ».
Réformé de l’armée en 2010, suite à ses blessures, Djamel Smaïdi garde une profonde rancune contre l’armée et la classe politique. Il ne digère pas d’avoir reçu la médaille de blessé de guerre par simple courrier et se dit très étonné qu’aucun officier présent à Bouaké ce jour-là ne se soit porté partie civile, des officiers qui – souligne-t-il -, ont tous reçu la Légion d’honneur.
Le militaire attend de ce procès des réponses. « J’ai besoin de cette vérité – lance-t-il à la barre – pour passer à autre chose », cette vérité que Michèle Alliot-Marie lui avait promis en 2004, lors d’une visite à son chevet, à l’hôpital.
La douleur d’une mère
Outre le témoignage de Djamel Smaïdi, la cour a également continué à entendre des proches des victimes. Edwige Laliche, qui a perdu son fils d’à peine 20 ans, a livré un bouleversant écho à la quête de vérité et des blessures, visibles ou non, qui hantent cette affaire.
Ses yeux sont des torrents et sa voix s’étrangle, mais Edwige Laliche est portée par un serment fait à son fils : « Je lui ai promis sur sa tombe que je dirai tout, que je ferai tout pour connaître la vérité ». Alors, elle raconte : « Pour moi, le cauchemar a commencé le 7 à 13h30, avec ce militaire à ma porte. J’ai compris, et je suis devenue un hurlement de douleur. Quand j’ai retrouvé un peu de clarté, c’était pour entendre un autre cri, celui de mon fils aîné, à qui j’apprenais la mort de son frère ».
Le cauchemar continue avec la cérémonie à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, les 9 cercueils alignés. « Je demande : “il est où mon fils ? Je peux le voir, l’embrasser ?” C’est non. Et plus tard, j’apprends qu’on l’a mis dans le cercueil comme on l’a trouvé, avec le sang, ses habits sales… aucun respect ! », rage-t-elle. Après l’enterrement, Edwige se retrouve seule, le cauchemar l’engloutit : « J’ai fermé les volets et ne suis plus sortie pendant des mois jusqu’à ce qu’on me retrouve par terre, déshydratée, avec 10 kilos de moins. »
Jusqu’en 2009, elle vit cloîtrée ou hospitalisée. « Mes seules sorties, c’était le cimetière, même en pleine nuit. » Ces nuits, durant lesquelles elle cauchemarde quotidiennement, recherche de son fils parmi les morts ou court parfois ouvrir la porte, croyant l’entendre rentrer.
Aujourd’hui, Edwige Laliche va mieux, mais à la douleur s’est ajoutée la colère. Envers Michèle Alliot-Marie surtout, qu’elle accuse « d’avoir tout fait pour cacher la vérité » et qui renâcle à témoigner. « La vérité, on ne l’aura jamais complètement, mais au moins qu’elle n’ait pas la lâcheté de ne pas venir », cingle-t-elle, « Elle nous doit des réponses. Pour nous tous, condamnés à vivre avec nos blessures, c’est vital. »
Ce qu’il y a à en retenir, ce sont les conséquences post-traumatiques de tout ce qui se passe. Ce sont des militaires, mais il y a quelque chose qui peut s’effondrer comme un château de cartes quand vous vivez un tel traumatisme et que vous n’avez pas d’accompagnement.
Source: Rfi