Le canal de Suez encore bloqué par le porte-conteneurs échoué

Image satellite du porte-conteneurs « Ever-Given » dans le canal de Suez, le 24 mars 2021. - / AFP

Une rafale de vent souffle sur un navire flottant sur le canal de Suez, et c’est tout le commerce mondial qui se trouve pris dans une tempête. Un porte-conteneurs bloque encore jeudi 25 mars l’une des routes commerciales les plus empruntées au monde, après s’être mis en travers de la voie d’eau dans la partie sud du canal, mardi matin. Un porte-parole de Bernhard Schulte Shipmanagement (BSM), le gestionnaire du navire Ever-Given, confirme au Monde que l’accident a été provoqué par des « vents forts » sans préciser si ces vents avaient déporté le navire ou si les tempêtes de sable avaient réduit la visibilité.

Des remorqueurs et des dragueurs tentaient toujours, jeudi, de dégager ce mastodonte des mers battant pavillon panaméen ; une tâche rendue difficile par leurs gabarits de lilliputiens.

Mohab Mamish, conseiller du président Abdel Fattah al-Sissi en matière portuaire, s’est montré optimiste auprès de l’Agence France-Presse (AFP) estimant, jeudi soir, que la navigation reprendrait « dans 48 à 72 heures maximum ». « J’ai l’expérience de plusieurs opérations de sauvetage de ce type et, en tant qu’ancien président de l’Autorité du canal de Suez, je connais chaque centimètre du canal », a ajouté M. Mamish, qui a supervisé la récente expansion de cette voie maritime très fréquentée.
La société japonaise Shoei Kisen Kaisha, propriétaire du porte-conteneurs, a annoncé ce jeudi qu’elle travaillait avec les autorités du canal pour la remise à flot, mais que l’opération était « extrêmement difficile ». Selon son exploitant, la compagnie de transport taïwanaise Evergreen Marine Corp, L’Ever-Given, qui se rendait de Yantian, en Chine, à Rotterdam, est un des géants des mers, avec ses 400 mètres de longueur, haut comme un immeuble de 20 étages, et une largeur de 59 mètres transportant quelque 22 000 containers de 20 pieds.

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Selon les décomptes de l’agence Clipper Data, plus de 70 navires attendaient mercredi soir de pouvoir passer par le canal de 193 kilomètres de long qui relie la mer Rouge à la mer Méditerranée. Ils seraient 165 selon la revue Lloyd’s List, spécialisée dans le transport maritime. La compagnie danoise Maersk, dont 7 navires sont à l’arrêt sur place, a fait savoir, mercredi, à ses clients qu’elle les informerait quant à de possibles « options de remplacement ». Son concurrent CMA CGM, dont les navires empruntent 700 fois par an le canal, affirmait, jeudi matin, n’en avoir aucun engagé dans la voie d’eau au moment de l’incident.

Dix jours supplémentaires

La seule possibilité pour relier l’Europe à l’Asie ou au Moyen-Orient consiste à mettre le cap vers Bonne-Espérance, à la pointe sud de l’Afrique, soit un détour d’environ 9 000 km et une dizaine de jours de voyage supplémentaires. Le blocage du canal de Suez risque de ralentir un commerce maritime déjà en sous-capacité pour répondre à la demande, avec des prix du fret qui ont été multipliés par 6 ou 8 en quelques mois.

Ce point de passage stratégique concentre à lui seul entre 10 % et 12 % du volume du commerce mondial chaque année, un chiffre qui suit la hausse des échanges commerciaux entre l’Asie et l’Europe. En 2015, le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, avait inauguré un élargissement du canal moyennant 8 milliards de dollars d’investissement, faisant gagner six heures sur le temps de trajet.

« Il est plus facile d’accuser le vent que de reconnaître une erreur humaine » Phil Reed, spécialiste du sauvetage maritime

Les cours du pétrole ont bondi de presque 6 % dans la seule journée de mercredi, portés par les craintes sur l’approvisionnement en or noir. Selon une note de l’agence américaine de l’énergie datant de juillet 2019, 9 % des produits pétroliers transportés en mer transitent par le canal de Suez et l’oléoduc Sumed, situé à proximité. « Le canal de Suez prend de l’importance pour le transport de produits pétroliers depuis la Russie et les Etats-Unis vers l’Asie », notait l’agence gouvernementale américaine en 2019.

Difficile de ne pas voir dans cet accident l’une des conséquences du gigantisme à l’œuvre dans le transport maritime. Au cours des vingt dernières années, la taille moyenne des navires a triplé. « Plusieurs fois par an, des porte-conteneurs s’échouent le long du canal de Suez mais cet accident est inhabituel car il bloque tout le trafic », constate Phil Reed, un spécialiste du sauvetage maritime et de récupération d’épaves. Les porte-conteneurs géants sont particulièrement difficiles à manœuvrer à cet endroit. Lorsqu’ils s’engagent dans le canal de Suez, des « pilotes » montent à bord pour les guider, le temps de la traversée.

« Surprenant »

Grâce au sol meuble du canal de Suez, les navires qui s’échouent ne sont généralement pas endommagés. En 2017, un navire japonais s’était échoué avant d’être remis à flot au bout de quelques heures. Si l’Ever-Given reste encastré dans le sable, il devra être déchargé d’une partie de ses containers, de son eau de ballast ou de son fioul, pour être remis à flot, ce qui pourrait rallonger encore la durée des opérations de sauvetage.

Le gestionnaire du navire a indiqué qu’aucun endommagement ni aucune pollution n’avaient été constatés, et a affirmé que les personnels de navigation étaient sains et saufs, tout en promettant une enquête sur les circonstances de l’accident. « Il est plus facile d’accuser le vent que de reconnaître une erreur humaine, remarque Phil Reed, or, il est surprenant que des vents allant à une vitesse de 30 ou 40 nœuds déportent un navire. Dans ce cas, les alertes de sécurité sur le canal de Suez doivent être améliorées. »

 Source: Le Monde