Les journalistes exerçant au Sénégal disent avoir rarement connu autant de tentatives d’intimidation que depuis le début de l’affaire Sonko et les troubles qu’elle a déclenchés.
Les défenseurs de la presse ont dénoncé les atteintes commises selon eux par le pouvoir pour contenir la contestation. Mais la pression est aussi venue de l’autre bord, celui des sympathisants d’Ousmane Sonko, surtout après la diffusion d’une interview de celle qui l’accuse de l’avoir violée à plusieurs reprises, rapporte la profession.
Mamadou Cissé, journaliste de la chaîne Leral, raconte qu’après la diffusion de cette interview, il a « reçu des insultes et des menaces de mort à partir de numéros sénégalais et européens ». « Leurs auteurs nous accusent d’être des vendus et la honte du peuple », assure-t-il.
La presse est le réceptacle des passions qu’a déchaînées la plainte déposée début février par une jeune masseuse d’un salon de beauté de Dakar contre Ousmane Sonko, principal opposant au président Macky Sall.
M. Sonko, 46 ans, réfute catégoriquement les accusations de la masseuse et dénonce un « complot » ourdi pour l’écarter de la présidentielle de 2024.
L’affaire, à la confluence de la politique, du sexe et de la justice, a enflammé les esprits, dans un contexte d’exaspération face aux restrictions justifiées par la pandémie de Covid-19.
L’arrestation de M. Sonko le 3 mars a provoqué des émeutes telles que le Sénégal n’en avait pas connu depuis des années. La presse a rapporté au plus près les heurts entre jeunes et policiers dans la rue. Trop près, au goût des autorités.
– « Corrompus » –
Le Sénégal occupe une honorable 47e place sur 180 au classement mondial de Reporters sans frontières (RSF) pour la liberté de la presse.
Le préfet de Dakar a pourtant été enregistré ordonnant à ses troupes de disperser au gaz lacrymogène les journalistes en même temps que les manifestants sur le chemin du tribunal emprunté par M. Sonko. Son souci, dit-il, était de libérer la voie publique.
Le gendarme de l’audiovisuel a suspendu pendant trois jours le signal de deux télévisions privées jugées coupables d’avoir diffusé « en boucle des images de violence ». Et les réseaux sociaux ont rapporté des perturbations sur internet évoquant celles observées dans de nombreux pays à l’initiative des gouvernants en période de crise.
En retour, des manifestants ont attaqué dans la capitale les sièges de la radio et du quotidien du Groupe Futurs médias (GFM) du chanteur Youssou Ndour et du quotidien Le Soleil, considérés comme proches du gouvernement.
Après plusieurs jours de confrontation, le pouvoir et la société civile se sont employés à la désescalade.
Mais les ardeurs se sont à nouveau excitées la semaine passée quand la masseuse, Adji Sarr, âgée d’une vingtaine d’années, est sortie de son silence pour accorder un entretien à quelques médias et y déclarer qu’elle était enceinte des oeuvres de M. Sonko.
« On a reçu beaucoup de menaces de morts et d’insultes sur les réseaux sociaux. Ils nous accusent d’être corrompus et de ne pas épouser la thèse du complot » qui viserait M. Sonko, affirme Mamadou Diouf, journaliste au site d’informations Dakaractu.
– L’appel de Sonko –
Pour protéger ses journalistes, Dakaractu a renforcé la sécurité de ses locaux et ne signe plus les papiers publiés sur le site, dit-il.
De telles intimidations de la part d’un parti d’opposition ou de ses sympathisants est « une première », dit le journaliste Issa Sall, grande figure de la presse sénégalaise. « Avant, les menaces étaient plus subtiles ou, mieux: c’était de la diatribe d’intellectuels », dit-il.
Au-delà de la presse, l’affaire a causé ce que le défenseur reconnu des droits humains Alioune Tine qualifie de « grand malaise », face à l’éventualité que le corps de la femme soit instrumentalisé à des fins politiques ou au contraire qu’une plainte pour viols puisse ne pas être instruite. Dans un climat envenimé, différents interlocuteurs avouent à l’AFP leur réticence à s’exprimer ouvertement sur l’affaire.
En visite vendredi dans des locaux du groupe de Youssou Ndour, Ousmane Sonko s’est démarqué d’une telle violence et en a appelé les auteurs à laisser la presse « exercer librement son travail ».
« Ce sont des pratiques que nous dénonçons. Les groupes de presse ne peuvent pas être nos adversaires », a-t-il dit.