Politicienne chevronnée d’apparence discrète, Samia Suluhu Hassan s’est retrouvée propulsée au sommet du pouvoir en Tanzanie, après la mort soudaine du président John Magufuli, une première pour une femme dans ce pays d’Afrique de l’Est.
« Moi, Samia Suluhu Hassan, promets d’être honnête et d’obéir et de protéger la constitution tanzanienne. (…) J’exercerai honnêtement mes fonctions de présidente de la République Unie de Tanzanie et assurerai la justice à toutes les personnes conformément aux lois, coutumes et traditions de la Tanzanie sans crainte, ni faveur, ni haine. Avec l’aide de Dieu ».
Vêtue d’un ensemble noir et d’un foulard rouge, celle qui était jusqu’alors vice-présidente est entrée dans l’histoire vendredi matin lors de sa prestation de serment dans la capitale économique Dar es Salaam.
Originaire de l’archipel semi-autonome de Zanzibar, dont les relations avec la Tanzanie continentale sont historiquement houleuses, cette musulmane de 61 ans occupera la présidence « pour la période restant du mandat de cinq ans », soit jusqu’en 2025, selon la Constitution tanzanienne.
Elle est désormais l’une des deux seules femmes actuellement au pouvoir en Afrique avec l’Ethiopienne Sahle-Work Zewde, dont les fonctions sont honorifiques.
Connue pour encourager les femmes à poursuivre leurs rêves, cette mère de quatre enfants était déjà la première vice-présidente de l’histoire de son pays, depuis l’arrivée au pouvoir en 2015 de John Magufuli.
Le visage encadré d’un foulard noir, c’est elle qui a annoncé mercredi soir, d’une voix lente et mesurée, le décès du président, qui n’avait plus été vu en public depuis près de trois semaines.
– Vingt ans de carrière politique –
Son style contraste avec celui, tonitruant, de son prédécesseur.
« J’ai peut-être l’air polie et je ne crie pas quand je parle, mais la chose la plus importante c’est que tout le monde comprenne ce que je dis et que les choses soient faites comme je le dis », expliquait-elle l’année dernière.
Née le 27 janvier 1960 à Zanzibar, au sein d’une famille modeste -père instituteur et mère au foyer-, Mme Hassan est diplômée d’un master en « développement économique communautaire » de l’Université libre de Tanzanie, à Dar es Salaam, et de l’Université du Sud du New Hampshire (Etats-Unis).
Elle a débuté sa carrière au sein du gouvernement de Zanzibar, où elle travaille entre 1977 et 1987, d’abord à des fonctions administratives, puis à un poste de responsable du développement.
Toujours à Zanzibar, elle rejoint de 1988 à 1997 le Programme alimentaire mondial en tant que cheffe de projet, puis dirige pendant deux ans l’association des ONG de l’archipel, Angoza.
Sa carrière politique démarre en 2000, lorsqu’elle est nommée membre du Parlement de Zanzibar par le parti présidentiel tanzanien Chama Cha Mapinduzi (CCM), toujours au pouvoir aujourd’hui. Elle fut plus tard élue à l’Assemblée nationale tanzanienne.
Mme Hassan a été plusieurs fois ministre: à Zanzibar (Femmes et Jeunesse, puis Tourisme et Commerce) entre 2000 et 2010, et au niveau national à partir de 2014 comme ministre des Affaires de l’Union, auprès de l’ancien président Jakaya Kikwete. Ce dernier était présent à sa prestation de serment.
– Rivalités internes –
En tant que vice-présidente, un rôle de l’ombre, elle fut pourtant le visage de la Tanzanie à l’étranger, où elle représentait régulièrement M. Magufuli. En 2019, sous sa tutelle, le ministère de l’Environnement a interdit l’usage des sacs plastiques.
En 2016, des rumeurs voulaient qu’elle ait démissionné en raison de divergences avec le chef de l’Etat. L’information avait été démentie par un communiqué officiel.
Mais l’année dernière, dans un discours tenu en présence de M. Magufuli, elle avait évoqué une certaine incompréhension de son action à l’époque.
« Lorsque vous avez commencé à travailler en tant que président, beaucoup d’entre nous ne comprenaient pas ce que vous vouliez réellement. Nous ne savions pas où vous vouliez aller. Mais aujourd’hui, nous connaissons tous vos ambitions pour le développement de la Tanzanie », avait-elle déclaré.
Mme Hassan va diriger un pays marqué par le virage autoritaire réalisé M. Magufuli.
Attaché à combattre la corruption, le « bulldozer » a lancé de grands projets d’infrastructures mais a aussi muselé l’opposition et mené une féroce répression contre les défenseurs des droits et les médias.
Elle sera aussi confrontée aux jeux de pouvoir au sein du CCM.
Elle devra gouverner « avec une base beaucoup plus faible, qui sera contrôlée par le clan Magufuli et les renseignements », estime le chercheur tanzanien Thabit Jacob, de l’université de Roskilde (Danemark). « Elle aura du mal à construire sa propre base et des rivalités entre factions vont émerger », prédit-il.
Source: La Minute Info