Niger: l’opposant Hama Amadou dans le viseur des autorités

AFP - ISSOUF SANOGO Des policiers anti-émeutes dans une rue alors que les partisans de l'opposition protestent après l'annonce des résultats du second tour de la présidentielle du pays à Niamey, le 23 février 2021.

Au Niger, deux morts et près de 470 arrestations, c’est le dernier bilan, donné par le ministère de l’Intérieur, des troubles qui ont eu lieu à Niamey, depuis l’annonce mardi par la Céni des résultats provisoires de la présidentielle. Lors d’un point presse, le ministre de l’Intérieur Alkache Alhada a expliqué que certains hommes politiques avaient été arrêtés et que l’opposant Hama Amadou, était recherché. Par ailleurs, plusieurs maisons ont été attaquées et incendiées. Parmi elles, le domicile du correspondant de RFI Moussa Kaka.

Pour le ministre de l’Intérieur Alkache Alhada, Hama Amadou entretient la tension dans le pays depuis des mois par ses diverses prises de paroles publiques. Il pointe notamment le discours du 21 août dernier où l’opposant appelle à une alternance du pouvoir avant même l’élection présidentielle. « Comment peut-on, avant les élections, organiser une alternance autrement que par la force, autrement que par un coup d’État en fait ? Le 22 septembre, il disait que si sa candidature n’était pas retenue, ce qui était arrivé au Mali arrivera au Niger. Il est arrivé au Mali… un coup d’État… Je ne fais même pas cas des propos racistes qu’il a proférés, ce n’est pas responsable. »

« Tous les actes qu’ils ont posés sont des actes répréhensibles, les auteurs, les coauteurs, complices, instigateurs. Nous n’oublierons rien. Les dossiers sont en préparation et ils vont payer. Nous n’accepterons pas que ce pays devienne un pays de dictature, nous n’accepterons pas que ceux qui veulent coûte que coûte, quelles que soient les conditions, y compris en mettant le feu, arriver au pouvoir, nous n’accepterons pas ça », a martelé le ministre de l’Intérieur, accusant Hama Amadou du Moden Fa Lumana Africa d’être à l’origine des troubles.

De son côté, le candidat de l’opposition estime que ces interpellations sont indues et qu’elles ne visent que des personnes de son camp : « Si vous prenez la région au niveau de Niamey, les arrestations sont faites sans qu’il y ait un mandat d’arrêt notifiant clairement de quoi il s’agit. Et on se rend compte que c’est uniquement les gens de mon camp, ce n’est pas normal, parce que ces interpellations et ces arrestations sont sans aucune base », s’indigne M. Ousmane

Il accuse notamment les autorités de vouloir entraver la préparation des recours auprès de la Cour constitutionnelle. « Cela nous porte préjudice parce que nous sommes dans une phase où chacun des deux compétiteurs est en train de rassembler les matériaux pour étayer ses arguments auprès de la Cour », conclut-il.

Dans l’après-midi ce jeudi, le domicile d’Hama Amadou est encerclé par des dizaines de véhicules de la gendarmerie et des forces anti-terroristes. Présent sur place, son avocat Maître Boubacar Mossi apprend que ces hommes en uniforme sont venus vérifier qu’Hama Amadou se trouve chez lui. Une démarche en dehors de toute légalité selon le conseil : « Ca veut dire qu’ils sont venus pour l’arrêter. Et si c’est pour l’arrêter, il faut bien un mandat d’arrêt. Si c’est pour faire de la perquisition, là aussi il faut un titre de perquisition. Ils sont venus au mépris de la loi. Dans ces conditions, s’ils le prennent, vous comprenez bien que c’est un enlèvement. »

Appel au dialogue et à la retenue

Cet après-midi, Paris a encouragé l’ensemble des parties au « dialogue » et « à recourir aux voies légales pour régler tout différend ». Dans un communiqué commun, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest et l’ONU ont « appelé toutes les parties prenantes à la retenue ».

Human Rights Watch s’inquiète des violences commises par les manifestants mais aussi de la répression organisée par les autorités. Jeudi, depuis mardi, 468 personnes avaient été arrêtées et l’accès à internet est toujours restreint dans le pays.

 Ce jeudi matin, en circulant dans la capitale on pouvait voir que plusieurs quartiers étaient calmes, rapporte notre envoyée spéciale à Niamey, Magali Lagrange. Les gens circulaient normalement, vaquaient à leurs occupations. Cependant, par endroit, il y a des traces de pneus brûlés par terre ou encore des pavés sur la chaussée. Et par ci par là, des axes sont barrés par des groupes de jeunes en colère qui empêchent les voitures de passer. De leur côté, les forces de sécurité sont visibles à plusieurs endroits.

Plusieurs domiciles, dont celui du correspondant de RFI Moussa Kaka ont été incendiés. Ibrahim Harouna, président de la Maison de la presse nigérienne, condamne l’agression de notre correspondant et dénonce un climat d’intimidation pour la presse depuis le début de la campagne : « Ce sont des attaques d’intimidations, contre la liberté de la presse. Bien avant cela, notre confrère Moussa Kaka avait reçu des menaces, et d’autres journalistes avaient aussi été menacés, avec des messages, des appels. C’est vraiment les hommes politiques qui, à travers leurs propos, exposent les journalistes. Si, dans vos propos, vous faites comprendre à vos militants que l’autre est contre vous, vous exposer les journalistes. Et pourtant, les journalistes nigériens, dans le cadre du processus électoral, ont fait leur travail de manière professionnelle. Nous allons donc appeler toute la classe politique à plus de responsabilités. »

Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique à Reporters sans frontières, s’interroge sur les responsabilités de cette attaque. RSF « demande aux responsables politiques une condamnation de ces agissements et aux autorités et de tout mettre en oeuvre pour retrouver les auteurs de cette attaque et ceux des menaces qui ont visé ce journaliste ».

De toute évidence, ceux qui sont venus brûler et saccager une partie de la maison de votre correspondant, savaient très bien ce qu’ils faisaient chez lui. Il s’agit d’une forme d’expédition punitive qui visait son travail de journaliste. On peut regretter que certains responsables politiques n’aient pas pris la parole ou donner en tout cas des directives claires pour éviter que leurs militants se livrent à ce genre de débordements. Du côté des autorités, il semble aussi qu’on n’a pas pris la mesure, ni les dispositions nécessaires pour empêcher cette attaque. Il a reçu, selon ses dires, plus d’un millier de menaces de morts au cours des deux derniers mois, il avait d’ailleurs déposé plainte à ce titre le 15 décembre dernier.

 Cette situation dure depuis plusieurs jours maintenant depuis la proclamation des résultats globaux provisoires de la présidentielle mardi. Ces résultats donnent vainqueur Mohamed Bazoum avec près de 56% des voix face à Mahamane Ousmane (44%). Des chiffes que l’opposition, qui revendique la victoire, conteste.

Mercredi après-midi, c’est Moumouni Boureima, dit « Tchanga », le général à la retraite et ancien chef d’État major du président Mamadou Tandja qui a été interpellé à Niamey. Il serait soupçonné d’être un meneur de ces troubles.

  Source: Rfi