Deux ans après son lancement, le Hirak est freiné par la crise sanitaire et sa difficulté à se structurer. Est-il aujourd’hui dans une impasse ou peut-il rebondir ?
Après l’exaltation, le désenchantement ? Le 22 février 2019 était marqué par la naissance d’un mouvement de contestation populaire, pacifique et inédit en Algérie. Si personne n’a oublié les sourires et les slogans à l’humour corrosif, beaucoup s’interrogent aujourd’hui sur l’avenir du mouvement, passé au second plan. Du fait de la crise sanitaire, d’abord. De sa difficulté à se structurer et à se transformer en force politique, ensuite. À l’occasion des deux ans du mouvement, une question émerge : le Hirak est-il dans une impasse ?
Face aux chapelet d’événements de l’année 2020, le mouvement populaire peine, de toute évidence, à se réinventer. Une explication par les circonstances loin d’emporter l’adhésion de tous les « hirakistes ». Parmi eux, Karim Tabbou, figure-clé du mouvement. Interrogé par TV5 Monde, le 8 janvier, le militant politique a pointé, sans détour, la responsabilité du pouvoir algérien dans cette situation. « Le pays a été conduit à l’impasse par la faute d’un régime liberticide », a martelé celui qui a passé un an en prison. Pour lui, le Hirak n’est pas dans l’impasse. Il est la conséquence de l’impéritie d’un pouvoir qui « pousse les Algériens à rester mobilisés, à rester déterminés ».
Mépris des puissants
Le Hirak ne serait, donc, pas mort. Simplement en dormance. En filigrane, les propos de Karim Tabbou s’inscrivent dans une tradition algérienne de résistance, dont l’année 1962 et l’indépendance du pays fut le point culminant. Conquête coloniale, révoltes successives, guerre d’Algérie, indépendance, coup d’État, décennie noire… Si le mouvement de février 2019 est inédit, l’inconscient collectif algérien, lui, perpétue depuis 1830 un rapport particulier au pouvoir et à la domination.
Certes, à partir de 1962, la violence coloniale disparait. Lui succède, alors, la hogra (l’injustice) d’un pouvoir confisqué durant des décennies. La portée du Hirak dépasse d’ailleurs le simple périmètre politique. Les manifestations du vendredi sont moins le fruit de la crise économique, que du sentiment d’humiliation généré par le projet de cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Le mépris des puissants est toujours un puissant levier de soulèvement.
Une donnée à garder en tête pour saisir les ressorts intimes de cette contestation. Et surtout, pour imaginer la marche future du mouvement. Une marche affermie par l’éclosion d’un sentiment nouveau et qui a parcouru les vendredis populaires du Hirak. Les Algériens prenaient conscience qu’ils valaient mieux que le récit écrit pour eux ces dernières décennies.
D’où un impératif, érigé en slogan : respecter le sens de l’Histoire et de la guerre d’indépendance. « Nous avons l’indépendance du pays mais nous n’avons pas libéré le peuple », a-t-on souvent entendu au sein du mouvement. Le Hirak se vit comme le prolongement de 1954. « 60 ans après, les Algériens revendiquent encore l’indépendance », affirme d’ailleurs Karim Tabbou. Le pouvoir algérien serait, dans cette perspective, l’avatar d’une administration coloniale tout aussi arbitraire que violente.
Négocier avec le pouvoir ?
Après huit années d’une guerre acharnée, comment penser, alors, que le Hirak – et ses deux ans d’âge – puisse s’éteindre ? Tout semble avoir changé depuis deux ans – Bouteflika est parti, et Tebboune promet une « Algérie nouvelle » – mais les enjeux de justice, de liberté et de droits demeurent. Le sort des détenus d’opinion, dont celui du journaliste Khaled Drareni libéré vendredi après près d’un an de prison, détonne, insolemment, avec l’acquittement de Saïd Bouteflika et des généraux Tartag et Toufik, prononcé par le tribunal militaire de Blida, le 2 janvier…
Comment, alors, faire perdurer le mouvement, et le doter d’une feuille de route efficiente ? Aujourd’hui, la question ne porte plus sur le redémarrage du Hirak. Plutôt sur la forme qu’il devra désormais prendre pour résoudre les défis qu’il s’est lancé. Avec une ligne de fracture qui se profile, peut-être, à l’intérieur même du mouvement : faut-il négocier ou non avec le pouvoir ? Et si oui, qui pour représenter le mouvement ?
Confronté à des vacances de la présidence ces dernières mois – Abdelmadjid Tebboune a été hospitalisé plusieurs fois en Allemagne pour des soins – et une crise sanitaire interminable, l’État algérien est-il prêt à écouter les revendications de ceux qui voudront bien discuter avec lui ?
Rien n’est moins sûr, d’autant que, pour le pouvoir, la priorité est ailleurs : aux frontières, précisément. La reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par Donald Trump et la normalisation des relations entre le Maroc et Israël pourraient ainsi avoir pour effet d’enrayer tout processus de négociation interne.
Source: jeune Afrique