« En plein Covid, l’exécutif paie pour du matériel répressif, mais pas pour du médical » : en Tunisie, le nouveau gouvernement contesté par la rue

FETHI BELAID / AFP Face-à-face entre manifestants et policiers devant le Parlement tunisien, mardi 26 janvier, à Tunis.

Le remaniement ministériel de Hichem Mechichi a obtenu la confiance du Parlement malgré les protestations, réprimées, dans plusieurs villes du pays.

En Tunisie, la colère sociale prend de l’ampleur. Mardi 26 janvier, dans la capitale, des centaines de jeunes manifestants, venus notamment du quartier populaire d’Ettadhamen, ont tenté de rejoindre le siège de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), le Parlement monocaméral tunisien, où les députés s’apprêtaient à voter la confiance au gouvernement remanié de Hichem Mechichi.

Policiers déployés en nombre, canons à eau, véhicules blindés… Un important dispositif de sécurité avait été mis en place autour du bâtiment pour tenir à distance les contestataires, également issus des rangs militants et associatifs. « Quand ces jeunes portant les stigmates de la pauvreté, de l’extrémisme ou de la délinquance décident de marcher pacifiquement vers le Parlement, l’Etat les rejette et leur en interdit l’accès. Il les renvoie à la marge », s’est indignée Samar Tlili, une militante présente sur place.

Cantonnés dans les rues adjacentes, les protestataires ont scandé des slogans antipolice, réclamant « la liberté pour les manifestants arrêtés ». Ce déploiement sécuritaire a également fait grincer des dents sur les bancs de l’ARP. « Nous sommes encerclés. Avec ce dispositif, soit on vote pour vous, soit on ne rentre pas chez nous ? », a lancé Zied Ghanney, député du Courant démocrate (social-démocrate), au chef du gouvernement.

Cortège funèbre

Depuis le début des heurts qui ont éclaté à travers le pays à la mi-janvier, au moins 1 600 personnes ont été arrêtées par les forces de l’ordre, dont plusieurs centaines de mineurs, selon des associations de la société civile. La plupart ont été poursuivies pour « constitution d’une bande de malfaiteurs », un délit relevant du pénal et passible de lourdes peines. Les troubles ont été précipités par la mise en place d’un confinement de quatre jours alors que la Tunisie s’apprêtait, le 14 janvier, à célébrer le dixième anniversaire de sa révolution. Cette mesure, dépourvue d’utilité sanitaire selon de nombreux médecins, a provoqué une vague de mécontentement dans les franges les plus marginalisées de la population.

depuis plusieurs jours circulent sur les réseaux sociaux des vidéos montrant des policiers en train de lancer des grenades lacrymogènes à bout portant sur des protestataires ou à l’intérieur des maisons. Haykel Rachdi, un manifestant de Sbeïtla (gouvernorat de Kasserine), dans le centre-ouest du pays, est mort, lundi 25 janvier ; il avait été touché par l’une de ces grenades le mardi précédent. Son cortège funèbre s’est transformé en manifestation. La police y a fait de nouveau usage de gaz lacrymogène, malgré la présence d’enfants en grand nombre.

La réponse musclée des autorités est d’autant plus mal perçue par une partie de la population que la crise sanitaire et ses conséquences pèsent déjà lourd sur la société tunisienne. Non seulement le pays enregistre plus de 2 000 nouveaux cas et une cinquantaine de morts du Covid-19 chaque jour, mais le chômage touche plus d’un jeune sur trois et les restrictions ont accentué la crise sociale en détruisant des dizaines de milliers d’emplois.

Prise de distances

« En plein Covid, le gouvernement paie pour du matériel répressif, mais pas pour du matériel médical », critiquait mardi Ines Tlili, une manifestante. Le gouvernement tunisien a importé de France soixante blindés identifiés comme des MIDS de l’entreprise Arquus (anciennement Renault Trucks Defense), selon la société Marseille Manutention, chargée de leur transport. Une partie de cet arsenal a été déployée dans les rues de Tunis.

Mardi 5 janvier, avant que les heurts n’éclatent, M. Mechichi a démis de ses fonctions de ministre de l’intérieur Taoufik Charfeddine, un proche du chef de l’Etat, Kaïs Saïed, alimentant les tensions déjà existantes à la tête de l’exécutif.

Choisi par M. Saïed pendant l’été 2020, le premier ministre a pris ses distances avec la présidence en ralliant à lui une coalition parlementaire hétéroclite réunissant les islamistes d’Ennahda, les ultraconservateurs d’Al-Karama ou encore le parti Qalb Tounes, présidé par l’ancien candidat à la présidentielle Nabil Karoui, actuellement en détention préventive pour évasion fiscale et blanchiment d’argent.

Dernier exemple de ces divisions qui paralysent le sommet de l’Etat, M. Saïed a confié, dimanche 24 janvier, qu’il se réservait le droit de recevoir ou non pour leur prestation de serment certains ministres controversés. Sans les citer, le chef de l’Etat faisait référence aux ministres soupçonnés de conflits d’intérêts – les ministres de la santé, de l’énergie, de l’emploi et de la justice –, selon l’organisation IWatch, spécialisée dans la lutte contre la corruption.

 

   Source: Le monde