Le 28 décembre, la Minusma a rendu public un rapport faisant la lumière sur les circonstances qui ont entouré la mort de 14 personnes lors des manifestations de mi-juillet à Bamako. Elle pointe la responsabilité des forces de l’ordre.
« Quatorze morts, dont deux enfants et au moins 158 blessés. » C’est le bilan que dresse la Division des droits de l’homme et de la protection (DDHP) de la Minusma après plusieurs mois d’enquête sur les violences survenues à Bamako et dans d’autres grandes villes du pays en marge des manifestations hostiles au pouvoir.
Les événements remontent à la mi-juillet, lorsque des milliers de Maliens étaient dans la rue pour réclamer la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta. Réunis au sein du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), ils avaient alors imposé un bras de fer aux autorités.
Jours sanglants
Le vendredi 10 juillet, le M5-RFP organise sa troisième grande manifestation et plusieurs de ses principales figures réitèrent leur appel à la désobéissance civile. « À 15h50, répondant à l’appel des leaders [du mouvement], une foule importante de manifestants, visiblement non armés, éclatée en plusieurs groupes, s’est dirigée vers l’Assemblée nationale, la primature, la cité administrative, l’ORTM, ainsi que les premier et deuxième ponts, conformément aux instructions reçues », relate le rapport de la mission onusienne.
Le dispositif sécuritaire est alors renforcé et la répression dégénère pendant plusieurs jours sanglants sur lesquels revient la DDHP. Son rapport d’une trentaine de pages a été rendu public le 28 décembre, soit plus de quatre mois après le coup d’État qui a renversé IBK et la mise en place d’une transition.
Au terme de son enquête, la division a conclu que « 14 personnes formellement identifiées ont été tuées lors des interventions des forces de l’ordre, notamment de la gendarmerie, la police, la garde nationale et la Forsat [Force spéciale antiterroriste] ». En plus des arrestations, elle mentionne qu’au moins 158 civils et militaires ont été blessés entre le 10 et le 13 juillet.
Ces incidents se sont déroulés à l’ORTM, dont les locaux ont été investis par des manifestants, mais aussi aux environs de l’Assemblée nationale, dans le quartier de Badalabougou, ainsi qu’aux alentours de la résidence de l’imam Mahmoud Dicko, qui faisait figure d’autorité morale du M5.
Le rapport évoque également les pillages, attribués aux manifestants, et des violences commises à l’encontre des forces de l’ordre, qui ont enregistré quelques blessés dans leurs rangs.
Qui est responsable ?
La Minusma met en évidence le dispositif destiné à encadrer la manifestation, les enquêteurs ayant eu accès au plan de déploiement des forces de l’ordre. Mais elle ne cite le nom d’aucun responsable.
Le 10 juillet, « sous l’autorité des directeurs généraux de la police, de la gendarmerie, de la protection civile et du chef d’état-major de la garde nationale, le directeur régional de la police du district de Bamako était le superviseur général de l’ensemble du dispositif tactique. Il était assisté du commandant de région de la gendarmerie, du commandant GMO [groupement de maintien de l’ordre], du directeur régional de la protection civile, du commandant GMS [groupement mobile de sécurité] et des commandants GIGN (Rive droite – Rive gauche) », détaille le rapport.
L’implication de la Forsat dans l’encadrement des manifestations est l’un des points les plus controversés. Sur les ordres de qui ont-elles agi ? Que deviennent ces forces depuis le putsch ? À ces questions, le rapport ne répond pas.
Contactée, l’armée malienne n’a pas souhaité s’exprimer sur les accusations portées à l’encontre des forces de l’ordre.
« C’est un rapport descriptif qui laisse beaucoup d’interrogations. Nous voulons une enquête menée aussi par des Maliens, qui situerait les responsabilités et qui dirait qui sont les vraies victimes », souligne Clément Dembélé, président de la Plateforme de lutte contre la corruption et le chômage au Mali.
Ce membre du M5 rejette également quelques aspects du document. « Nous avons dénombré au moins 23 morts. Quant aux casses survenues à l’ORTM et imputées aux manifestants, elles sont plutôt le fait des forces de l’ordre qui y ont fait irruption et ont tiré sur ceux-ci », ajoute-t-il.
« Ce n’est pas à nous de déterminer qui a été responsable de quoi. Nous demandons seulement l’ouverture d’enquêtes et disons quelles unités ont été impliquées. Nous sommes prêts à mettre à la disposition des autorités le fruit de nos recherches », assure Guillaume Ngefa, directeur de la division des droits de l’homme.
Quelques jours avant la publication du rapport de la mission onusienne, le procureur de la République, Mahamadou Kassogué a publié un communiqué rappelant qu’une enquête judiciaire avait été ouverte. Elle concerne entre autres « les assassinats, les tentatives d’assassinat et l’utilisation illégale d’armes à feu contre des manifestants ». Mahamadou Kassogué a invité « les victimes et témoins à son cabinet pour rencontrer les juges d’instruction chargés du dossier ».
Impunité
Pour les leaders du M5, dont certains avaient été arrêtés, et pour Mahmoud Dicko, qui avait personnellement conduit la prière mortuaire pour certaines victimes dans sa mosquée le 12 juillet, obtenir justice était une revendication essentielle. Au lendemain du coup d’État, ils l’ont réitérée devant les autorités de la transition.
« C’est une question de volonté politique. Bah N’Daw [le président de la transition] a déclaré lutter contre l’impunité. Ce qui signifie que nous devrions être rapidement en mesure de trouver qui sont les responsables. Au Mali, on parle toujours d’enquêtes ouvertes. Il faut que celle-ci aboutisse. Et la junte a les moyens de dire qui a donné l’ordre », déclare Clément Dembélé.
Pour Guillaume Ngefa, les autorités de la transition se savent attendues sur le sujet. « La lutte contre l’impunité est un critère de l’ONU et les autorités de la transition seront jugées sur leur capacité à apporter des réponses à de telles violations de droits. »
Source: Jeune Afrique