Tunisie : entre les citoyens et la police, la défiance persiste

© Hassene Dridi/AP/SIPA Des policiers dans le centre-ville de Tunis en novembre 2015.

En Algérie, l’heure n’est plus à la contestation, le souffle est retombé pour les centaines de milliers de protestataires qui envahissaient, chaque semaine, les grandes villes pour réclamer la fin du « système ». Le Covid-19 a eu raison de cette ferveur populaire, mais le Hirak, mouvement protestataire né le 22 février 2019, résiste.

Les militants du Hirak ont suspendu leurs manifestations pour cause de Covid-19, mais le mouvement ne s’est pas essoufflé, l’esprit de la révolte est toujours là. Il est moins visible, moins présent dans la rue, néanmoins, le Hirak survit et les hommes et femmes qui ont créé ce mouvement populaire, en février 2019, réclament toujours le changement.

La contestation aujourd’hui s’organise, explique Nadia Salem, du collectif Free Algeria : « Les gens travaillent pour s’organiser en corporations professionnelles, les étudiants, les artistes, les avocats, et pour ce qui me concerne, au sein de la diaspora à l’étranger, puisque la diaspora est active. Aujourd’hui, moi à Paris, je communique avec les Algériens du monde entier, aux USA, au Canada, en Italie, en Belgique, partout nous sommes aujourd’hui connectés, nous nous organisons, et nous préparons la suite. »

De nouveaux moyens de résistance

Le mouvement Hirak est passé de la rue aux réseaux sociaux pour faire pression sur le pouvoir, mais tout ce qui est écrit est surveillé par les services de sécurité. Les militants du Hirak dénoncent un État policier en Algérie, qui selon eux n’est pas sans rappeler celui de l’ancien régime d’Abdelaziz Bouteflika, mais même si les actions judiciaires se multiplient, les « hirakistes » ont trouvé de nouveaux moyens pour résister, raconte Karim Tabbou, opposant algérien et ancien détenu.

« Les Algériens sont devenus très créatifs, parfois on voit des gens écrire sur Trump et, dans l’écriture, on comprend que ça parle de Tebboune, ça ne parle pas de Trump. Par exemple, la fraude électorale qu’il y a eu en Algérie, les gens ont bien écrit sur Facebook que le trucage des élections aux États-Unis, le responsable c’est monsieur Chorfi. Monsieur Chorfi est celui qui préside l’instance électorale en Algérie », précise Karim Tabbou.

Les militants du Hirak continuent à contester la légitimité du président algérien Abdelmadjid Tebboune. Le président est absent depuis près de deux mois, officiellement pour être soigné en Allemagne du Covid-19, et son gouvernement est aussi en quelque sorte en sursis. Il a subi le mois dernier un revers cinglant lors du référendum constitutionnel, qui a peu mobilisé les électeurs.

Pour Karim Abderrahim, chercheur à Institut prospective & sécurité en Europe (IPSE), le régime est dans l’impasse : « La défiance de la part des Algériens est là. C’est un régime qui ne représente plus que lui-même et qui donc devrait permettre aux dirigeants européens de comprendre qu’il est aussi important d’entrer en discussion avec cette société parce que, lorsque les bouleversements, lorsque les changements se produiront, il ne faudrait pas, encore une fois, que l’Europe, que la France rate à nouveau le train. »

Vers une réorganisation du Hirak ?

Kader Abderrahim reste très critique envers le président français Emmanuel Macron qui avait apporté son soutien au chef de l’État algérien dans une interview à Jeune Afrique. Le chercheur évoque donc une necessité d’engager des discussions avec le Hirak, mais il n’y a pas de représentant qui émergent. Tétanisés par les cuisantes expériences du passé, les militants rechignent à envisager toute structuration du Hirak.

Pour certains, le mouvement doit tout de même songer maintenant aux moyens de passer du rejet du système à un vrai projet. C’est l’avis de Soufiane Djelali, chef du parti d’opposition Jil Jadid, qui accepte le principe d’un dialogue avec le pouvoir : « Le régime de Bouteflika en tant que tel est fini, il est effondré. Vous avez des dizaines de hauts fonctionnaires face à la justice. Donc maintenant il s’agit de construire un nouveau régime politique et de ne pas vouloir détruire ce qui reste de l’État algérien, parce que nous avons malheureusement des exemples vivants en Libye, en Syrie, et l’Algérie n’a vraiment pas besoin de rentrer dans une phase de destruction des structures de l’État, mais au contraire de passer à autre chose, de manière pacifique et sereine. »

Après le Covid-19, reste à savoir comment ce rejet pourrait s’incarner dans une véritable transition démocratique pour l’Algérie.

 
 Source: Rfi