Le projet de la zone de libre-échange continentale africaine semble aller dans la concrétisation. Nombre de questions quant à son application au niveau des pays du continent restent ouvertes et seront vraisemblablement une source de négociations supplémentaires. Le fait est que l’Afrique semble en effet suivre la voie d’une intégration continentale, propre au concept multipolaire.
Les chefs d’Etat de plusieurs dizaines de pays africains, réunis au cours des derniers jours en sommet extraordinaire, ont donné le feu vert pour le lancement de la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), qui rentrera en vigueur dès le 1er janvier 2021. Evidemment nombre de questions pratiques restent encore en suspens, qui demanderont certainement une coordination supplémentaire entre pays concernés.
Selon Abdou Diop, président de la commission Afrique de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), cité par le journal économique marocain en ligne Médias 24, «jusque-là, la Zlecaf était un vœu. Mais à partir de ce sommet et de la ratification officielle par 34 chefs d’Etat (tous les pays du continent sont signataires, dont 34 ratificateurs, ndlr), l’accord peut entrer en vigueur. C’est une étape décisive qui a été franchie».
Bien que et toujours selon lui, plusieurs étapes doivent encore être réalisées. Notamment sur le plan procédural qui concerne la ratification complète au niveau des parlements des pays concernés – un point qui ne devrait pas connaitre de complication majeure. L’autre aspect concerne quant à lui le contenu de l’accord, plus particulièrement ses aspects techniques. Parmi les points qui connaitront certainement des discussions supplémentaires sont ceux liés au niveau de suppression des droits de douane, sachant que dans le cadre de l’accord sur la Zlecaf – les pays africains ont convenu de supprimer 90% des droits de douane sur une période de 5 à 15 ans, selon leur niveau de développement.
L’autre aspect important concerne quant à lui les règles d’origine. Plus exactement, le taux d’intégration de la production d’origine de pays africains du produit pour qu’il soit considéré comme étant apte à jouir de la zone de libre-échange. Un point qui nécessitera de trouver le juste milieu pour d’un côté promouvoir réellement une production africaine, de l’autre garder l’attractivité pour les investisseurs étrangers.
En termes de perspectives futures, les avis restent pour le moment partagés. Si pour certains experts, la Zlecaf représente une énorme chance pour l’Afrique d’accroitre les échanges intracontinentaux – qui restent faibles, surtout comparés à d’autres continents et régions du monde, le tout dans un cadre panafricain. Pour d’autres, ce sont principalement les grands groupes internationaux qui en seront les principaux bénéficiaires.
Mais peut-être que la réalité sur le court et moyen terme se trouve justement entre les deux « camps ». D’un côté, il est certain que dans un premier temps, les avantages d’une telle zone de libre-échange ne contribueront pas à tous de la même façon. En ce sens, ce sont les pays africains les plus industrialisés au niveau continental, possédant une infrastructure développée ou relativement développée, étant par la même occasion les plus attrayants en termes d’investissements directs étrangers (IDE), qui seront vraisemblablement plus avantagés dans la première phase de ce processus. A savoir l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Algérie, le Nigéria ou encore le Maroc. Mais ce qu’il faut certainement retenir, c’est qu’à terme les fruits d’une telle zone de libre-échange continentale devront être obtenus pour une bien plus large part de nations africaines.
Surtout si le taux de production africain augmentera progressivement. Pouvant permettre par la même occasion une augmentation considérable de transfert technologique et de savoir-faire – car il serait sans doute important de rappeler que la Zlecaf représentera un marché de plus d’un milliard de personnes.
En ce qui concerne la question si la concurrence extracontinentale augmentera lors de l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange continentale africaine, la réponse est certainement oui. Il sera logique d’observer les multinationales occidentales tenter à tirer profit des avantages d’une telle large zone de libre-échange, en misant notamment sur les pays où ces multinationales sont bien établies. Mais il n’empêche qu’elles auront certainement à devoir faire face aux puissances non-occidentales – qui sont elles aussi de plus en plus actives sur le continent africain. En effet, des pays comme la Chine, l’Inde ou la Turquie ont déjà une présence industrielle réelle dans nombre de pays africains.
Restera évidemment à l’Afrique d’en être la principale gagnante. Et ce dans un cadre souverain et panafricaniste. Après tout, si dans le monde contemporain multipolaire, les espaces d’intégration régionaux et continentaux ne cessent de prendre de l’ampleur, notamment en Eurasie, Asie du Sud-Est ou en Amérique latine, et ce sans en demander l’avis des puissances occidentales, l’Afrique a toute la légitimité d’en tirer profit elle aussi. Et par la même occasion devenir un bloc puissant du monde multipolaire. Le chemin reste long mais peu de choses se sont faites du jour au lendemain.
Mikhail Gamandiy-Egorov