Les adversaires du président Alassane Ouattara, candidat à sa réélection fin octobre, peinent à s’accorder sur une stratégie commune pour mobiliser.
« Tout sauf Ouattara ! » L’opposition en Côte d’Ivoire s’en tient à ce mot d’ordre au moment où démarre, jeudi 15 octobre, la campagne électorale pour la présidentielle. A quinze jours du premier tour du scrutin, tous les adversaires du chef de l’Etat sortant, Alassane Ouattara, réclament le retrait de sa candidature controversée à un troisième mandat. Mais ce cri de ralliement dissimule mal leur absence de stratégie pour parvenir à barrer la route au président sortant.
Ce flottement est apparu clairement à l’occasion du « giga-meeting » organisé samedi 10 octobre par les chefs de file de l’opposition au stade Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan. Accusant M. Ouattara, son ancien allié, de « haute trahison » et de « viol » de la Constitution, l’ancien président et meneur de l’opposition Henri Konan Bédié a promis aux militants présents que la « dictature du RHDP [le parti au pouvoir] sera[it] vaincue dans quelques jours ou quelques semaines ». Par quelle voie ? M. Bédié a demandé au secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, « de se saisir du dossier ivoirien pour la mise en place d’un organe électoral indépendant crédible avant l’élection présidentielle ».
Rien n’a en revanche été précisé sur les actions à mener à l’intérieur du pays pour « faire barrage » au troisième mandat. Le 20 septembre, M. Bédié avait pourtant lancé un appel à la désobéissance civile, soutenu par l’ensemble de l’opposition. Mais dans les faits, l’initiative est restée lettre morte à l’intérieur du pays, comme à Abidjan, la capitale économique ivoirienne : quasiment aucun mouvement de protestation ou de blocage n’a été signalé.
Carte internationale
« Constatant que ça ne prend pas dans le pays, l’opposition tente de plaider sa petite cause à l’extérieur, se moque un cadre du RHDP. Mais est-ce qu’elle pense sérieusement que la communauté internationale va réagir alors que les Ivoiriens vaquent à leurs occupations et n’ont que faire d’appels à l’insurrection lancés depuis des villas de Cocody [commune huppée d’Abidjan] ? »
C’est bien pour tenter de donner un nouvel élan à la contestation contre la candidature du président ivoirien que l’opposition s’est mise à jouer la carte internationale. Quelques jours avant le « giga-meeting », une mission conjointe de l’Union africaine, de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et de l’ONU s’est rendue à Abidjan afin d’y rencontrer tous les acteurs politiques ivoiriens.
L’opposition, dans son ensemble, a expliqué par le menu aux membres de cette délégation de « diplomatie préventive » que, dans les conditions actuelles, l’élection ne pouvait se tenir. En début de semaine, Henri Konan Bédié s’est aussi déplacé à Accra pour y rencontrer le chef de l’Etat ghanéen, Nana Akufo-Addo, président en exercice de la Cédéao. Mais ces appels du pied à la communauté internationale pour « sauver » le processus électoral restent pour le moment sans réponse.
L’opposition met en scène son union
En l’absence d’aide extérieure ou d’une forte mobilisation populaire, il reste pour l’opposition à clarifier les modalités de sa participation au scrutin. « Les élections sont pipées, accepter d’y participer, c’est aller à l’abattoir », confie un proche d’Henri Konan Bédié. « Ce sera sans Ouattara ou sans nous, il va falloir qu’on discute tous ensemble », prévient-il. La question d’un boycottage est pourtant loin d’être tranchée. M. Bédié maintient pour l’heure sa candidature, tout comme l’ancien premier ministre Pascal Affi N’Guessan. Malgré le lancement officiel de la campagne électorale jeudi, l’opposition n’a pas prévu de battre campagne.
En attendant, l’opposition met en scène son union contre la candidature de M. Ouattara. Il s’agit pourtant là du seul dénominateur commun à ce large spectre de responsables politiques, allant de M. Bédié à l’ancien chef rebelle et ex-premier ministre Guillaume Soro, exilé en France, en passant par Simone Gbagbo, l’épouse de l’ancien président Laurent Gbagbo, empêché d’être candidat et retenu à Bruxelles.
« La politique ivoirienne a l’habitude des alliances contre-nature, et des oppositions qui fonctionnent sur des équilibres fragiles contre une seule personnalité, rappelle l’analyste politique Sylvain N’Guessan, qui y voit la principale difficulté pour arriver à élaborer une stratégie commune claire. Chacun sait que l’autre pourra lui tirer dans le dos une fois l’épreuve de force passée, à moins que ce soit le régime qui parvienne à fissurer l’opposition en faisant un pas vers l’un de ses membres. »
Dans le camp adverse, aucune inflexion ne semble à l’ordre du jour. « Les dés sont lancés depuis un moment et l’opposition joue l’enfant gâté sur la dernière ligne droite en allant voir les partenaires étrangers car elle voit que la contestation ne prend pas », juge un proche du pouvoir.
Source : Le Monde