Le nouveau système de collecte numérique des droits de douanes sur les téléphones portables et les tablettes du Cameroun pourrait ne pas être opérationnel dès le 15 octobre comme annoncé par le gouvernement. Selon une source au cœur du dossier, les sociétés de téléphonie ne se sont pas encore connectées à la plateforme technique qui porte la solution de collecte. Elle aurait été développée par Arintech, une entité encore inconnue jusqu’à la récente révélation de son nom par les autorités.
Cette connexion est pourtant indispensable. Pour fonctionner, le système a besoin d’être relié aux bases de données de tous les opérateurs de téléphonie du pays. En plus, ce sont ces sociétés qui seront désormais chargées de collecter ces taxes et de les reverser mensuellement aux services des douanes.
Passage en force
« Nous ne pouvons pas nous connecter. Car, nous n’avons même pas encore signé un contrat avec l’État », indique-t-on au sein du top management de plusieurs opérateurs des télécoms approchés. Selon nos informations, le gouvernement a saisi, en milieu de semaine dernière, les concessionnaires des services de téléphonie pour leur transmettre une mouture dudit contrat. « Il nous a été demandé d’envoyer nos observations sous huitaine. J’imagine qu’après ça, nous allons discuter. Car, il n’est pas question que nous signions ce contrat en l’état », confie un haut cadre d’une entreprise de téléphonie mobile.
L’Association des opérateurs concessionnaires de téléphonie mobile au Cameroun (AOCTM), que préside actuellement le directeur général d’Orange Cameroun, Frédéric Debord (photo), devrait d’ailleurs prendre langue cette semaine avec les autorités camerounaises, pour leur présenter sa longue liste de griefs contre le dispositif de collecte numérique des droits de douane sur les téléphones et tablettes, apprend-on de bonnes sources.
« Les protocoles utilisés ici ont fait l’objet d’un travail d’ensemble entre les acteurs, à savoir le Minpostel, les régulateurs (ART et Antic) et les opérateurs de téléphonie », soutient pourtant le ministre des Postes et des Télécommunications (Minpostel), Minette Libom Li Likeng. Elle a cosigné avec le ministre des Finances, Louis Paul Motaze, le communiqué annonçant la mise en œuvre effective du système.
Les concessionnaires des services de téléphonie mobile admettent être en discussion avec les autorités depuis novembre 2018. Nous sommes-là, à la veille de l’envoi au Parlement de la loi de finances 2019, qui introduit la collecte numérique des droits de douane sur les téléphones et tablettes.
« Mais, les questions fondamentales n’ont jamais été abordées. En plus, plusieurs questions opérationnelles n’ont pas, à ce jour, trouvé de solutions techniques concrètes ; ce qui rend difficile l’intégration des besoins exprimés par l’État dans nos systèmes d’exploitation », explique un haut responsable d’une société de téléphonie mobile. Pour l’AOCTM, la démarche du gouvernement, qui a déjà fixé au 15 octobre la date de l’opérationnalisation du dispositif, s’assimile donc à un passage en force.
Problèmes techniques
Parmi les problèmes qui seraient restés sans solution, nos sources citent pêle-mêle la complexité des téléphones à multiple SIM, les prélèvements sur les tablettes qui se connectent au réseau sans avoir besoin d’une carte SIM, l’absence de mercuriale… « La direction générale des douanes (DGD) n’a pas encore déterminé la mercuriale des droits et taxes à payer en fonction de la gamme, de la marque et du modèle des appareils terminaux. Cet élément essentiel ne fait pas encore partie de la solution technique proposée », soutient un responsable.
En réponse, à la DGD, on brandit la décision du ministre des Finances signée le 17 mars 2020. Ce texte, dont certains opérateurs de mobile disent ignorer l’existence, fixe « les valeurs imposables minimales applicables à l’importation de certaines marchandises ». On y apprend que pour les téléphones et les tablettes, la valeur imposable varie de 3000 FCFA à 200 000 FCFA.
Aujourd’hui, de nombreux téléphones fonctionnent de manière simultanée avec deux ou trois cartes SIM. « Comment pourra-t-on détecter que les IMEI (International Mobile Equipment Identity) de l’appareil dual SIM appartiennent au même téléphone et éviter à l’usager des paiements multiples pour le même téléphone ? Lorsque le téléphone à SIM multiple se connectera chez des opérateurs différents à travers chacune de ses SIM, lequel de ces opérateurs devrait prélever la taxe ? », s’interroge un autre responsable. Ce dernier craint d’ailleurs que la paix sociale autour de l’industrie de la téléphonie mobile soit troublée, à cause de ce dispositif de collecte des droits de douane potentiellement conflictogène.
Arintech en question
Paul Zambo est le président directeur général (PDG) d’Arintech, mandataire de l’État dans le développement du nouveau dispositif de collecte des droits de douane sur les téléphones portables et les tablettes. À l’en croire, la plateforme « rassemble (devrait rassembler, devrait-il dire, NDLR) toutes les données de tous les opérateurs téléphoniques au Cameroun » et utilise un « système de triangulation très efficace », pour résoudre les problèmes de type téléphones à multiple SIM ou de dédoublement des IMEI. Invité de l’émission « Scène de presse » sur la télévision gouvernementale CRTV, le 11 octobre 2020, ce dernier a néanmoins avoué que cette technologie n’est pas sûre à 100%.
Il a, par ailleurs, eu de la peine à décliner clairement quel type de données seront utiles pour faire fonctionner son application. Sur la sécurisation et la confidentialité des données personnelles, le promoteur d’Arintech a donné pour seule garantie « le respect du cahier de charges » que lui a fixé l’État, renforçant ainsi toutes les réserves que certains opérateurs ont de sa plateforme et de son entreprise, dont les états de service ne sont visibles nulle part.
« De fait, Arintech s’apparente à une nébuleuse dirigée par un certain Paul Zambo, plus connu comme le président national du parti politique dénommé Mouvement pour le développement intégral de la République (MDIR), jadis engagé dans l’activité de location d’avions », tranche-t-on dans les couloirs d’une multinationale des télécoms. Le PDG d’Arintech, lui, se présente comme un « inventeur ». À l’en croire, son projet aurait été sélectionné lors des concours organisés par le ministère des Postes et des Télécommunications, comme lors de la « Semaine de l’innovation numérique » et incubé dans le même environnement.
Menace sur le chiffre d’affaires
Le nouveau système de collecte des droits de douane sur les téléphones et les tablettes prévoit un paiement de ces taxes par le crédit de communication. La régularité de ce mécanisme préoccupe également certains opérateurs de téléphonie, qui auraient d’ailleurs saisi le gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), responsable de la politique monétaire en zone Cemac. Il est question de savoir si le crédit de communication peut être utilisé comme un moyen de paiement.
En attendant la réponse d’Abbas Mahamat Tolli, le gouverneur de cette banque centrale, des experts au sein de cette institution juge le procédé contraire à la réglementation communautaire. Car il ferait ainsi des sociétés de téléphonie des créateurs de monnaie, prérogative pour l’instant réservée à la Beac, aux banques commerciales et aux Trésors publics des États membres de la Cemac (Cameroun, Congo, Gabon, Tchad, Guinée équatoriale et RCA).
Mais au-delà de tout, ce que l’AOCTM redoute le plus, c’est l’impact de ce mécanisme de paiement sur le chiffre d’affaires du secteur de la téléphonie mobile. « Le prélèvement des droits et taxes de douane sur le crédit de communication obligerait les entreprises de téléphonie mobile à partager avec la douane la part du porte-monnaie que le consommateur réserve à l’achat d’Airtime », s’inquiète un membre de cette association de défense des intérêts des opérateurs.
À travers cette réforme, la douane envisage de multiplier les recettes engendrées par les droits de douane sur les téléphones et les tablettes de 2500%, pour atteindre 25 milliards de FCFA dès la première année de mise en œuvre. « Les recettes supplémentaires espérées chaque année par la douane représentent autant de revenus perdus par une industrie de téléphonie mobile, qui traverse déjà une crise économique profonde », peste-t-on dans le top management des sociétés de téléphonie. L’État, lui, prévoit de consacrer 1,65% des recettes collectées par ce nouveau dispositif pour rémunérer tous les intermédiaires (Arintech, sociétés de téléphonie…), soit environ 300 millions de FCFA pour la première année.
Source : Investir au Cameroun