La liste SDN est le registre de ceux que les États-Unis considèrent comme infréquentables. Le Zimbabwe, la Libye et la RDC comptent le plus grand nombre de personnes sanctionnées.
En Afrique, au moins 317 personnes réparties sur 26 pays sont visées par des sanctions économiques des États-Unis, révèle une analyse de la base de données de l’Office du contrôle des avoirs des étrangers (OFAC), une agence du Trésor américain.
Lancé fin 1950, OFAC est le garant du registre officiel des sanctions individuelles américaines, plus connu sous l’appellation de “la liste SDN” (specially designated nationals). S’étirant sur plus de 1420 pages, la liste complète couvre 6 continents.
Vaste répertoire de ceux que les États-Unis considèrent comme infréquentables, la liste SDN inclut des seigneurs de guerre notoires, des chefs d’État (anciens et actuels), des officiels, des hommes et femmes d’affaires, des présumés trafiquants de drogue et des personnes accusées d’actes de terrorisme.
Certaines personnes sont sanctionnées pour des délits de droit commun de haute portée. C’est le cas de six Nigérians qui, à ce jour, sont les seuls Africains sanctionnés sous la rubrique de cyber crime. Recherchés par le FBI, la police fédérale américaine, ils sont accusés d’avoir subtilisé 6 millions de dollars aux entreprises et aux citoyens américains sans jamais quitter le Nigeria.
A la mi-août, deux juges ougandais ont été mis sur la liste des sanctions parce que, selon les autorités américaines, ils faisaient adopter des enfants ougandais par des Américains sans le consentement de leurs parents, à qui ils faisaient croire que les enfants avaient reçu une bourse spéciale pour une scolarisation à l’étranger.
En plus des individus, les sanctions américaines visent aussi au moins 200 entreprises et œuvres caritatives sur le continent africain, ainsi que des bateaux et des avions dont le nombre exact est difficile à déterminer.
Zimbabwe, Libye, RDC en tête
Sur le continent, le Zimbabwe est le pays qui compte le plus grand nombre de personnes sanctionnées, soit 83 individus. Parmi elles, figurent le président Emerson Mnangagwa, ainsi que son prédécesseur Robert Mugabe, décédé en 2018. La femme de ce dernier, Grace Mugabe, figure aussi sur la liste.
Vient ensuite la Libye, avec 46 individus sous sanctions, dont l’ancien Guide Mouammar Kadhafi – tué en 2011 – et plusieurs membres de sa famille.
La République Démocratique du Congo (RDC) vient en troisième place, avec 44 personnes sous le coup des sanctions. Parmi elles, on reconnait des noms qui ont défrayé la chronique ces dernières années. Il s’agit, entre autres, des généraux Laurent Nkunda, John Numbi et Célestin Kanyama; de l’ancien président de la commission électorale Corneille Nangaa ; de Kalev Mutondo, ex-patron du renseignement ; du sénateur Evariste Boshab, ancien président de l’assemblée nationale et ex-directeur de cabinet de l’ancien président Joseph Kabila.
L’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) de la RDC, Corneille Nangaa, a été ajouté à la liste SDN en mai 2019 pour “atteinte aux processus ou institutions démocratiques en RDC”.
La Somalie, le Soudan du Sud, la Centrafrique, le Nigeria, le Burundi et le Mali complètent la liste des pays où l’on recense au moins 10 personnes sanctionnées.
“Un individu peut être sanctionné sous plusieurs rubriques“, explique dans une interview Gary Kalman, directeur de la branche de l’ONG Transparency International aux États-Unis. “Tout dépend des circonstances de chaque cas et du profil des personnes impliquées“, précise-t-il.
En effet, l’ancien président gambien Yaya Jammeh n’est pas listé sous la Gambie, mais plutôt sous la Guinée équatoriale, le pays où il vit depuis son exil en 2017. De même, l’Ougandais Joseph Kony apparait non pas en Ouganda, mais sous la RCA et le Soudan. Idem pour l’ancien président de la RCA, Michel Djotodia, qui apparaît sous le Bénin, le pays où il a passé 6 ans en exil jusqu’à son retour à Bangui en janvier.
Sanctions extraterritoriales
La liste SDN est surtout un outil indispensable pour les banques américaines, les sociétés d’import-export, les lobbyistes, les binationaux et les hommes d’affaires qui traitent régulièrement avec des partenaires basés hors des États-Unis.
Concrètement, un individu sous sanctions ne peut pas ouvrir un compte bancaire ou acheter un bien aux États-Unis. Les comptes ou les propriétés que cet individu détenait avant d’être sanctionné sont systématiquement gelés. Ces sanctions sont souvent accompagnées d’une interdiction de visa.
L’ancien président gambien Yahya Jammeh a été soumis aux sanctions américaines en décembre 2017 pour “graves violations des droits de l’homme et corruption”.
Le simple fait de n’avoir aucun actif aux États-Unis ne signifie pas que l’on est hors de portée des autorités américaines, souligne le professeur Peter Harrell, expert en matière de sanctions au Center for New American Security, un think-tank basé à Washington.
Il explique que le gouvernement américain peut exiger aux entités basées à l’étranger d’appliquer des sanctions américaines sous peine d’en être frappées elles-mêmes. Ce mécanisme est connu sous le nom de “sanctions secondaires”.
“Les sanctions secondaires ont été introduites dans les années 1990, mais c’est récemment – vers 2009-2010 – qu’elles sont devenues un aspect important de la politique étrangère américaine“, explique le professeur Harrell.
Le principe est simple, dit-il : il faut choisir soit de traiter avec les infréquentables soit de traiter avec les États-Unis, mais pas les deux.
En Namibie, les sanctions secondaires ont conduit à l’annulation, en 2017, de plusieurs contrats de construction attribués à Mansudae Overseas Projects, une entreprise liée à l’armement en Corée du Nord. En 2015 la peur de sanctions a conduit l’unique fournisseur de devises américaines en Angola à interrompre ce service, occasionnant un véritable casse-tête à la BNA, la banque centrale angolaise.
Changer les comportements
Mais aussi robuste qu’il soit, le régime américain de sanctions souffre de nombreuses déficiences.
“Il existe un système de sanctions certes, mais il y a aussi une série de manœuvres qui permettent de les contourner“, déplore Gary Kalman.
C’est pourquoi, ajoute-t-il, une poignée de législateurs américains influents ont récemment présenté un projet de loi visant à combler ces lacunes.
Connu sous l’appellation de Anti-Money Laundering Act of 2020, ce projet de loi a été rattaché à la loi rectificative du budget de la défense, ce qui signifie qu’il devrait être promulgué dans les prochaines semaines.
“Le but ultime des sanctions n’est pas de punir, mais de causer un changement de comportement positif“, souligne une source à l’OFAC qui a requis l’anonymat.
Source : voa afrique