Ces derniers jours, des importateurs de voitures depuis l’Union européenne (UE) ont été surpris de se voir exiger le paiement de la totalité des droits de douane sur ce produit. Ils espéraient pourtant bénéficier d’une réduction de 10% conformément au calendrier de démantèlement des barrières tarifaires, prévu dans l’Accord de partenariat économique (APE) entre le Cameroun et l’UE.
En effet, selon ce calendrier, la suppression des droits de douane sur les produits du troisième groupe devrait débuter le 4 août 2020 au rythme de 10% par an. Il s’agit notamment des carburants, ciments, véhicules de tourisme et de transport de personnes, motocycles. Approchée, la direction générale des douanes explique qu’en l’absence d’une instruction formelle du ministre des Finances (Minfi), elle ne peut pas procéder à cette décote.
En réalité, l’instruction du Minfi n’arrive pas parce que le Cameroun a décidé de reporter la mise en œuvre de la cinquième phase de ce démantèlement débuté le 4 août 2016. « Cette décision est principalement motivée par l’impact de la pandémie de coronavirus sur les recettes publiques », explique-t-on au ministère de l’Économie, responsable de la mise en œuvre et du suivi de cet accord commercial. Dans la loi de finances rectificative, le Cameroun a réduit de 20% ses prévisions de recettes fiscales pour l’exercice 2020. Elles sont passées de 2962,2 à 2374,8 milliards de FCFA, soit une baisse de 587,3 milliards donc 206 milliards de recettes douanières.
Suspicions
Une correspondance a été initiée le 10 août dernier pour informer la partie européenne et le Comité APE, instance bilatérale chargée de l’administration de l’accord. Ce 12 août, le courrier n’était pas encore parvenu aux destinataires, mais la nouvelle était déjà arrivée jusqu’à Bruxelles. Dans la capitale belge, siège de la Commission européenne, la décision du Cameroun est accueillie avec méfiance. Ici, certains redoutent que la pandémie de coronavirus ne soit qu’un prétexte utilisé par Yaoundé pour gripper la mise en œuvre de l’APE.
Il faut dire que cet accord n’a pas les faveurs d’une bonne partie de l’opinion publique camerounaise et de la Cemac, communauté économique régionale à laquelle appartient le Cameroun. Des divergences subsistent, par ailleurs, entre Yaoundé et Bruxelles sur plusieurs questions déterminantes à une mise en œuvre efficiente de l’APE. Il s’agit notamment du protocole de règles d’origine communes, de l’accord sur les mesures d’accompagnement, précisément de la compensation de l’impact fiscal net de l’APE.
La suspension de la mise en œuvre de la cinquième phase du démantèlement tarifaire devrait rapporter peu de recettes au pays. Les pertes de recettes douanières liées à l’APE se sont situées à près de 9 milliards de FCFA en 2019. Elles sont projetées à 14 milliards en 2020 et les pertes en rapport avec la réduction des droits de douane sur les produits du 3e groupe n’en représentent qu’une fraction. Au regard de la réduction des importations du fait de la pandémie, cette dépense fiscale s’est réduite de fait.
Par ailleurs, estime la partie européenne, sa contribution à la réponse au choc du coronavirus couvre les manques à gagner de 2020. Les institutions et les États membres de l’UE déclarent avoir mobilisé une enveloppe de plus de 18 milliards de FCFA (14 millions d’euros) en faveur du Cameroun dans ce cadre.
Bataille juridique en perspective
« Le gouvernement du Cameroun a fait recours à l’article 31 de l’APE avec l’Union européenne qui prévoit des mesures de sauvegardes en cas de choc exogène », explique-t-on au ministère de l’Économie. À Bruxelles, nombreux sont ceux qui émettent des réserves sur cet argument juridique.
L’article 31 de l’APE (lire l’accord) donne la possibilité au Cameroun « après avoir examiné les solutions alternatives », de faire une pause « d’une durée limitée » sur la suppression des droits de douane sur ses importations en provenance de l’UE. Mais ce pourvoir ne s’exerce que lorsqu’un produit est importé du marché européen « en quantités tellement accrues et à des conditions telles que ces importations causent ou menacent de causer » des problèmes précis.
Il s’agit d’« un dommage grave à l’industrie domestique produisant des produits similaires ou directement concurrents sur le territoire de la partie importatrice » ; « des perturbations dans un secteur de l’économie, en particulier si ces perturbations engendrent des problèmes sociaux importants ou des difficultés qui pourraient provoquer une détérioration sérieuse de la situation économique de la partie importatrice » ou « des perturbations des marchés des produits agricoles similaires ou directement concurrents ou des mécanismes régulant ces marchés ». L’enjeu est donc de savoir si le Cameroun se trouve dans l’une de ces situations.
Source : Investir au Cameroun