À la manière des héroïnes de Chimamanda Ngozi Adichie, de plus en plus de diplômées issues de la diaspora africaine retournent vivre et entreprendre sur le continent de leurs parents. Leur ambition ? Apporter leur expertise, accompagner le dynamisme, ne plus faire partie des quotas…
Il y a cinq ans, Afua Osei a quitté son appartement cosy à Washington D.C., ses copines WASP et sa carrière toute tracée de golden girl chez McKinsey : « Un été, j’ai débarqué à Lagos. J’ai flashé sur l’énergie frénétique et vibrante de cette ville. Moi qui n’avais jamais songé à quitter les États-Unis, j’ai décidé de m’installer au Nigeria », explique cette pulpeuse trentenaire en stilettos et chignon bun, diplômée d’un MBA de l’université de Chicago. Un choix qui surprend ses parents : « Ils ont quitté le Ghana à 30 ans pour une vie meilleure, raconte Afua. C’est exactement l’âge de mon come-back en Afrique. Ils craignaient une régression. Alors que, pour moi, c’est une évolution. » Pourquoi ce retour aux sources ? Son visage s’éclaire : « Ici, tout est possible, affirme-t-elle. Ce n’est pas qu’une question d’identité, mais aussi d’opportunités. Après la crise des subprimes aux États-Unis, en 2008, l’African dream a remplacé l’American dream dans l’esprit d’une partie de la jeunesse afro-américaine. Ce continent, c’est la nouvelle Amérique. »
Les “repats”
En anglais, on les appelle les « returnees », et en français, les « repats ». Comme Afua, de plus en plus de jeunes diplômées, issues de la diaspora africaine, quittent l’Europe ou les États-Unis pour vivre et travailler sur le continent de leurs ancêtres. Quête de racines ? Pas seulement : elles veulent aussi surfer sur l’essor économique de la région et donner plus d’empowerment aux femmes. Selon les prévisions de la Banque mondiale, la croissance globale africaine devrait passer à 3,2 % en 2018, et à 3,5 % en 2019. « Les entreprises recrutent fortement, et les cabinets de chasseurs de tête sont débordés, analyse Nadia Mensah-Acogny, sociologue et fondatrice du cabinet de conseil Acosphere. Ce phénomène de “reverse migration” contredit les clichés trop souvent misérabilistes véhiculés sur l’Afrique. Ces migrations sont choisies et successful. Pour le continent, ce retour des cerveaux représente une mine d’or. »
De la réalité à la fiction
La littérature et la télévision se sont emparées du phénomène. Dans Americanah , paru en 2015 en France, la romancière Chimamanda Ngozi Adichie raconte le retour à Lagos d’une jeune blogueuse de Philadelphie née de parents nigérians. Sur le modèle de Sex and the City, la série ghanéenne An African City met en scène avec humour les aventures de cinq trentenaires afro-américaines, glamour et diplômées de Harvard ou d’Oxford, revenues à Accra tenter leur chance. Sa créatrice, Nicole Amarteifio, elle-même une returnee, rêve de changer l’image des femmes dans la société africaine. Cette série, devenue un succès populaire, incarne cette nouvelle génération de jeunes diplômés, actifs, mobiles, cosmopolites et multilingues.
La première édition de Women in Africa
Au pied de l’Atlas marocain, plusieurs dizaines de returnees networkent avec enthousiasme dans les allées bordées de rosiers du Beldi Country Club, à Marrakech. Elles font partie des 400 businesswomen venues de 41 pays participer à la première édition de Women in Africa, organisée fin septembre par Aude de Thuin. « Ce sommet international vise à identifier les talents féminins du continent, à les rassembler, à les encourager et à les accompagner, explique la fondatrice et ex-présidente du Women’s Forum. Ces jeunes diplômées rentrent pour participer, créer, entreprendre et inventer leur Afrique. »
Aux côtés d’Aude de Thuin, la chef d’orchestre de Women in Africa affiche le profil type de la returnee. Belle, jeune, ambitieuse, ses cheveux d’ébène finement tressés, Ndeye Diarra Diobaye supervise chaque détail avec une acuité et une énergie palpables. Le contenu du Women in Africa, c’est elle qui l’a conçu. Née à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, d’une mère franco-malienne et d’un père sénégalais, cette experte en stratégie marketing affiche, à 23 ans, un aplomb de businesswoman confirmée. En 2016, après un an en Inde, revenir en France ne la tentait pas. « J’apprends alors qu’un ami de Sciences Po est nommé à la tête d’un cabinet de conseil au Gabon. C’est mon déclic. » Elle postule et atterrit à Libreville. Gare à l’utopie de l’Afrique, prévient-elle : « J’avais l’illusion que tout irait mieux là-bas. Mais c’est faux. Je ne me suis pas du tout adaptée. Je n’avais pas d’amis, et je vivais seule, ce qui n’était pas le cas des filles de mon âge. » En avril 2017, elle met le cap sur Dakar. « Il y avait là une effervescence incroyable. Je me sentais chez moi. Entourée de mes amis et de ma famille, j’avais un ancrage émotionnel. Me rapprocher de mes racines m’a donné des ailes. Tout s’est accéléré, j’ai foncé et lancé mon cabinet de conseil. L’Afrique est un continent à la taille de mes ambitions. »
Ne plus se sentir singularisée par sa couleur de peau : toutes affirment avoir éprouvé un soulagement mêlé d’un sentiment de libération. « Dans tous mes jobs, j’étais la seule Noire, explique Afua Osei. Alors qu’à Lagos ma couleur de peau est la norme. Cela me libère d’un poids dont je n’avais pas conscience ! Depuis que je vis au Nigeria, je me sens désinhibée. » Stéphanie Prinet-Morou, 39 ans, d’origine togolaise, perçoit aussi ces freins insidieux : « En Occident, on finit par ressentir une lassitude d’être une minorité. En Afrique, on n’est plus un quota. On peut agir comme des pionniers. On a davantage d’audace et de liberté. »
L’intégration
Pour autant, les returnees ne sont pas toujours accueillies à bras ouverts. Après son master à la Sorbonne, Sarah Toumi, 30 ans, de mère bretonne et de père tunisien, s’est installée à Bir Salah, près de Sfax, en 2012 : « Mon père venait de mourir. Partir vivre là-bas m’a permis de garder le lien avec lui. Je me sentais comme l’aventurière Isabelle Eberhardt, un trait d’union entre l’Orient et l’Occident. » Dans son village, elle découvre les effets du changement climatique : « L’eau du puits est devenue saumâtre, salée. Impossible d’irriguer. » Elle lance alors une entreprise sociale, Acacias for All, pour lutter contre la désertification en plantant des acacias, des amandiers et des oliviers, qui ont besoin de très peu d’eau et qui génèrent des revenus rapides.
Mais, à sa grande surprise, sa famille la rejette : « J’étais la “Française” non voilée qui se promenait seule dans la rue. Ce fut une grande désillusion. J’ai dû faire des concessions et accepter de me voiler. Tout a alors basculé : on a planté des acacias, rénové le puits, l’école et le dispensaire. » Son expérience essaime dans quatorze régions de Tunisie, et l’entrepreneure, repérée par Emmanuel Macron, a intégré le Conseil présidentiel pour l’Afrique. « Avec mon projet d’agroforesterie, je peux avoir un impact sur la vie de millions de personnes en Afrique. »
L’altérité malgré tout
De la Tunisie au Zimbabwe, en passant par la Tanzanie et le Kenya, toutes ces returnees affirment le même désir : faire bouger les lignes, inventer une nouvelle Afrique, inclusive et ouverte sur le monde. Astria Fataki, 27 ans, née à Kinshasa et diplômée de Sciences Po Paris, fait partie de ces millennials en quête de sens. Elle a quitté un CDI dans le quartier de la Défense, en France, pour s’investir au Togo dans le secteur de l’énergie. Là encore, les débuts furent difficiles : « Quand je suis arrivée à Lomé, on m’appelait la “Bounty” : noire à l’extérieur, blanche à l’intérieur. »
Mais Astria ne se décourage pas : « En Afrique, l’énergie est un puissant accélérateur de développement, qui change la vie des femmes. Éclairage, électrification des centres de santé pour sécuriser les accouchements de nuit, mécanisation des travaux des champs pour soulager les femmes… Les bienfaits sont rapides et concrets. » Elle crée l’African Energy Generation Prize, un concours panafricain d’inventions de solutions génératrices d’énergie à bas coûts, qui lui a valu d’être distinguée au Women in Africa. « Nous apportons de l’altérité, et donc de l’innovation. Nous ne réinventons pas l’Afrique. Nous sommes un outil puissant qui lui permet de se réinventer. »
Source : Madame le Figaro