Au Burkina Faso, l’association La Voûte nubienne ressuscite une technique de construction ancestrale et écologique

SOPHIE DOUCE

En vingt-deux ans, un maçon français et son homologue burkinabé ont construit plus de 4 000 bâtiments au Sahel et formé plus d’un millier d’artisans à ce type d’architecture. Leur association remporte le Grand Prix de l’innovation urbaine « Le Monde »-Cities, dans la catégorie « Habitat ».

 Les Prix de l’innovation urbaine « Le Monde »-Cities

Pour la cinquième année consécutive, Le Monde décerne ses Prix de l’innovation urbaine-« Le Monde » Cities. Soixante et un projets ont été soumis au jury par un comité de sélection composé de personnalités du monde entier, experts des mutations urbaines : élus, chercheurs, dirigeants d’entreprise ou de fondations, architectes, urbanistes…

Formé des journalistes du Monde qui suivent au quotidien les champs couverts par ces prix, le jury, présidé par Jérôme Fenoglio, directeur du Monde, a récompensé des innovations développées à l’initiative de municipalités, d’entreprises, de start-up comme d’associations, d’ONG, de fondations, de citoyens ou groupes de citoyens, dans cinq catégories : mobilité, énergie, habitat, urbanisme, participation citoyenne. Le Grand Prix, doté de 20 000 euros, a été décerné, parmi ces cinq projets, à celui qui se distingue particulièrement par son approche innovante, l’ampleur de son impact potentiel et sa possibilité de reproduction.

Dans la cour des Youlou, ça crie, ça rit. Les voisines piquent un fou rire en sirotant une calebasse de dolo, la bière de mil traditionnelle, Kadja, la mère, prépare le dîner à l’ombre du vieux manguier et les enfants font la course aux « poulets-bicyclette » (race de poulet en Afrique de l’Ouest). Un passant s’autorise même une petite sieste dans l’entrée. Dans ce quartier de Boromo, à 180 kilomètres à l’ouest de Ouagadougou, la capitale burkinabée, tout le monde sait que Kadja Youlou garde sa porte grande ouverte. « Les gens se sentent si bien chez nous qu’il est parfois difficile de les faire partir », s’amuse la matriarche, un œil sur son saladier de feuilles de baobab, l’autre sur ses visiteurs allant et venant librement dans sa grande cour en terre rouge. Et si on passe chez elle, c’est aussi pour profiter de la fraîcheur de ses murs et pour admirer sa maison en voûte nubienne, imaginée par Séri Youlou, son mari, et Thomas Granier, un maçon français.

En 1998, les deux amis ont eu l’idée d’adapter cette technique architecturale venue de l’ancienne Nubie – aujourd’hui la zone frontalière entre le Soudan et le sud de l’Egypte – pour réaliser des habitations bas carbone confortables, solides et économiques. Construites en terre crue, sans bois ni tôle, des matériaux encore largement utilisés dans les villages, ces voûtes constituent une alternative durable et écologique face à la désertification au Sahel. Depuis, l’association française La Voûte nubienne a déjà réalisé plus de 4 000 chantiers en Afrique de l’Ouest. Des maisons, mais aussi des écoles, des centres de santé, des bureaux, et même des lieux de culte.

« La cour du roi »

Avec son entrée en voûte et ses murailles décorées, la maison des Youlou ressemble un peu à une forteresse. « On la confond parfois avec la cour du roi ! », glisse fièrement Abi Youlou, 20 ans, fille du couple Youlou, en sortant de la douche. Une trentaine de personnes – trois générations – vivent ici, dans onze maisonnettes en banco, de la terre crue malaxée, moulée puis séchée au soleil. La technique de la voûte est simple : on superpose les briques une à une pour bâtir les murs. « Puis on utilise un câble pour nous guider et former la courbe », explique le maçon et cofondateur Séri Youlou. Grâce à cette méthode ancestrale, revue et corrigée par les deux artisans, pas besoin de coffrage ni de structure porteuse. Pas besoin non plus de matériaux coûteux, comme le bois, devenu rare, et la tôle, polluante et peu pratique.

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Dans la cour de la famille Youlou, les voisins ou simples curieux sont nombreux à passer pour profiter de la fraîcheur des murs en voûte nubienne. Sophie Douce

La voûte coûte 30 à 60 % moins cher à fabriquer que les maisons en bloc de ciment. Elle est aussi plus solide et résistante aux intempéries, avec une durée de vie estimée à cinquante ans au minimum, soit cinq fois plus que les habitats en tôle et en parpaings, selon l’association. Mieux isolée, la voûte nubienne s’adapte particulièrement au climat sahélien, où les températures souvent extrêmes peuvent dépasser les 40 °C.

Grâce à la terre, qui « amortit » la chaleur, la famille parvient à garder 4 à 6 degrés de moins qu’à l’extérieur, sans climatisation ni ventilateur. « Il fait bon toute l’année, frais pendant la saison chaude et doux pendant l’hivernage », résume Séri Youlou, en s’engouffrant, malgré son 1,98 mètre, dans sa maison, un dédale de couloirs feutrés et colorés conduisant à un toit terrasse.

Déforestation

Si les voûtes nubiennes grandissent désormais un peu partout au Burkina, à la campagne, mais aussi désormais en ville pour des clients plus aisés, avec au total plus de 2 000 réalisations, il y a vingt ans le projet était loin de faire l’unanimité. En 1998, lorsque Thomas Granier, artisan maçon originaire de Ganges, dans l’Hérault, et Séri Youlou, paysan et « maçon débrouillard » lancent leurs premiers essais, les habitants de Boromo sont plus que sceptiques. « Ils pensaient qu’on était fous, que les voûtes allaient s’effondrer aux premières pluies », se rappelle le Burkinabé, qui ira même jusqu’à faire monter 40 personnes sur le toit de 24 m² de son bureau pour convaincre. Du jamais-vu pour ces villageois.

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Une brique en banco, fabriquée à partir de terre crue moulée et séchée au soleil. Sophie Douce

Il faut dire qu’à l’époque ces constructions sont encore inconnues en Afrique de l’Ouest, la terre étant avant tout considérée comme le matériau « du pauvre ». Pourtant le Sahel souffre de son mal-logement. Face à la croissance démographique galopante et à la désertification, les forêts se vident, certaines espèces d’arbres disparaissent. Les villageois délaissent de plus en plus l’architecture traditionnelle, en toit de chaume et en bois, pour se tourner vers la tôle ondulée, importée. « En termes de coût, de confort, de durabilité et d’environnement, c’est absurde », pointe Thomas Granier. Ce matériau, très polluant à produire, est fragile, chauffe rapidement au soleil, sans parler du vacarme lorsque la pluie tombe sur les toitures.

En 1999, les deux maçons commencent par construire une auberge touristique en voûte à Boromo, « pour voir ». A l’arrivée de la saison des pluies, alors que plusieurs bâtiments s’effondrent dans la commune, leur construction résiste. « Tout le quartier est venu voir, ils étaient impressionnés ; moi, convaincu », raconte Séri Youlou. L’association décide d’avancer pas à pas : en réalisant d’abord des « maisons témoins » avec des maçons qu’elle a formés dans une dizaine de villages autour de Boromo. En 2006, six premiers artisans sont formés, « la première génération » est née.

« Cercle vertueux »

Car l’objectif n’est pas seulement de construire, mais surtout de former et de « diffuser un savoir-faire ». Et avant tout en milieu rural où, au Burkina Faso, pays majoritairement paysan, vivent 92 % des ménages pauvres. D’autant plus que selon l’association, 98 % des agriculteurs travaillent également comme maçons dans le pays, en contre-saison ou en complément de revenus. Alors, pour Thomas Granier, « l’idée est de créer un cercle vertueux, en boostant l’emploi et en investissant dans la main-d’œuvre et l’économie locales. ». Grâce à sa technique simplifiée, facile et rapide à reproduire – il faut compter onze jours en moyenne pour construire une voûte –, l’association veut faire tache d’huile.

Sur chaque chantier, un maître maçon forme plusieurs apprentis, et ainsi de suite. Depuis 2000, 1 500 ouvriers ont déjà été formés en Afrique de l’Ouest, 1 000 au Burkina Faso. A Ouroubonon, l’un des premiers villages où l’association a commencé, à quelques kilomètres de Boromo, les voûtes ont changé la vie des habitants. Une quinzaine de constructions ont été réalisées, et une dizaine d’artisans formés.

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Kou Yao et sa fille dans leur nouvelle maison en voûte nubienne, dans le village de Ouroubonon, qu’il a construite avec l’aide de l’association. Sophie Douce

« Avant il n’y avait pas de travail ici, seulement les champs ; les jeunes partaient pour la ville, mais avec les chantiers certains sont revenus », explique Adama Sougué, un maçon de 26 ans, qui a vu son salaire doubler, environ 150 000 francs CFA mensuels (220 euros environ), depuis sa formation à l’association. Cette année, le jeune homme a même pu construire une nouvelle maison pour son grand-père. L’ancienne, en bois, grignotée par les pluies et les termites, menaçait de s’effondrer.

« Je suis fier de lui et de ces enfants qui investissent dans notre village, je vais pouvoir dormir en paix maintenant », souffle Bissima Yao, un ancien cultivateur et maçon de 71 ans. Ses enfants n’ont eu à débourser que 50 000 francs CFA (76 euros), le banco fabriqué à partir de terre du village et le reste des matériaux étant pris en charge par l’association. « Ici on n’a pas d’argent, mais on a de la terre et des bras ! », souligne son petit-fils. Et c’est là tout l’enjeu, si les villageois ne manquent pas de matière première, les liquidités peuvent poser plus de problèmes quand il faut payer la main-d’œuvre.

Là encore, Thomas Granier a réponse à tout. « Pourquoi ne pas mettre en place un mécanisme de crédit carbone pour les pollueurs en échange d’une aide financière à l’écoconstruction pour les villageois ? », avance l’entrepreneur, qui estime que l’association, récompensée en 2014 par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques à la COP20 de Lima, a déjà permis d’économiser entre 120 000 à 140 000 tonnes de CO2 depuis 2000. Et Thomas Granier et Séri Youlou ne comptent pas s’arrêter là. Leur rêve : construire « 100 000 toits » pour le Sahel.

   Source : Le Monde