Autoroute Yaoundé-Douala : comment les travaux supplémentaires ont été surévalués à 85 milliards de FCFA

Lors du conseil de cabinet tenu le 29 juillet 2020, le ministre des Travaux publics (Mintp) a apporté plus de précisions sur les travaux supplémentaires, évalués à 84,9 milliards de FCFA toutes taxes comprises (TTC). Emmanuel Nganou Djoumessi (photo) a parlé pour la première fois de cette somme « nécessaire pour l’achèvement de la première phase de l’autoroute Yaoundé-Douala et la réalisation des prestations additionnelles », le 18 juin au Sénat.

Il en ressort que ces travaux sont de deux ordres : les travaux de la section courante « non pris en charge dans le montant initial du marché (338,7 milliards de FCFA TTC, NDLR) » et la construction des voies et ouvrages de raccordements de la première section de l’autoroute au réseau routier (voir encadré ci-dessous). En effet, pour mettre en exploitation les 60 premiers kilomètres de l’autoroute, qui doit relier à terme les deux capitales du pays, comme le souhaitent les autorités, ces équipements de raccordements sont nécessaires. 

Le groupement Bet SCET-Tunisie/Louis Berger conduit en ce moment les études de raccordements. Mais selon le Mintp, des études préliminaires déjà disponibles ont évalué le coût prévisionnel de ces équipements à 45 milliards FCFA. Par déduction, les travaux « non pris en charge dans le montant initial du marché » sont donc, pour l’instant, estimés à près de 40 milliards de FCFA.  

Contestations

Ces précisions peinent à convaincre certains acteurs clés de ce projet. « J’ai un questionnement lourd sur ce surcoût au regard de ce qui est présenté comme prestations supplémentaires », indique un haut fonctionnaire qui a joué un rôle de premier plan pendant les premières années de mises en œuvre du projet. Ce dernier conteste particulièrement la base d’évaluation des travaux de la première phase de l’autoroute « non pris en charge dans le montant initial du marché ».

Devant le Sénat et au conseil de cabinet, Emmanuel Nganou Djoumessi a justifié « les travaux complémentaires pour l’achèvement de la section PK40-PK60 » par « la modification du profil en travers de l’ouvrage ». À l’en croire, l’accroissement des travaux, donc des coûts, a été induit par le passage d’« une route expresse en 2×2 voies sur 68,3 km (26 m de plateforme), avec une vitesse de référence de 100 km/h et 25 km de voie de rétablissement, pour un coût de 568 millions de dollars, soit 284 milliards FCFA [hors taxes] (338,7 milliards de FCFA TTC, NDLR) », prévu dans le « contrat commercial entre l’État du Cameroun et Exim Bank China », à « une autoroute en 2×2 voies, extensible à 2×3 voies avec une vitesse de référence de 110 km/h », réalisée en ce moment.

Pour ce haut cadre, cette justification ne tient pas. Car ce changement n’aurait pas forcement induit une hausse des coûts. Il en veut pour preuve le fait que dans le marché public, seul contrat écrit qui, selon le Code des marchés publics, lie l’État à un prestataire, signé après le contrat commercial, l’entreprise China First Higway Engineering Compagny Ltd (CFHEC), chargée de la construction de la première phase de l’autoroute Yaoundé-Douala, s’engage à réaliser les nouvelles prestations au même prix. On peut d’ailleurs s’en rendre compte en consultant la première page dudit marché et son descriptif des prestations.

Pressions

Sollicité, Emmanuel Nganou Djoumessi nous a confié à ses services logés à l’immeuble Émergence au cœur de Yaoundé. « Actuellement, c’est un marché public qui permet à l’entreprise CFHEC d’exécuter les travaux », confirme notre interlocuteur avant de préciser : « le contrat commercial a donné lieu à la mise en place d’un financement qui a soutenu la conclusion d’un marché public ». Mais le ministère des Travaux publics (Mintp) peine à expliquer pourquoi ce sont les prestations prévues dans le contrat commercial qui ont servi de base à l’évaluation des travaux « non pris en charge dans le montant initial du marché ».

« Il y a eu à un moment donné une suspension des paiements d’Exim Bank qui demandait qu’on précise le profil en travers. Car avec un financement de départ de 284 milliards FCFA, l’entreprise n’a pas voulu obéir aux choix du Cameroun. Il a fallu que le maître d’ouvrage lui précise que c’est lui qui arrête les caractéristiques de l’autoroute… », lâche la collaboratrice du ministre face à notre insistance.

Selon « une source fiable », citée par Le Quotidien de l’Économie, édition du 13 mai 2017, la banque publique chinoise d’import-export, d’où provient 85 % du financement initial du projet, avait suspendu ses paiements. Selon les mêmes sources, elle reprochait au Cameroun « d’avoir modifier de façon unilatérale les caractéristiques de la route ». Quelques mois après, le Mintp annonçait la reprise des paiements, sans indiquer comment l’affaire avait été dénouée. Il faut dire qu’après avoir souscrit au marché public, le constructeur chinois CFHEC, soutenu par Exim Bank, tente de se rebiffer. La filiale du conglomérat public Communications Construction Company Limited (CCCC) estime que les prestations contenues dans ce document sont supérieurs à celles du marché commercial.

Est-ce cet épisode qui a converti Emmanuel Nganou Djoumessi à la religion chinoise sur le dossier ? « Disons globalement que nous gérons des aspects opérationnels d’un choix stratégique qui a été fait à travers l’amélioration du profil en travers de l’autoroute », répond-on dans ses services. « Nous sommes partis d’un projet de construction d’une voie expresse avec 284 milliards disponibles, nous avons fait un choix stratégique qui nous permettait de voir loin et de penser gros avec un 2×2 extensible à 3, ce qui dépasse l’enveloppe de départ », y répète-t-on invariablement. À l’immeuble Émergence, on semble avoir évacué l’hypothèse d’une surestimation du coût des prestations de départ.

Surévaluation

Le marché de construction de la première phase de l’autoroute Yaoundé-Douala a été souscrit et signé en janvier 2014. À cette époque, le ministère des Travaux publics avait à sa tête Patrice Amba Salla. En sa qualité de Mintp, il était donc le maître d’ouvrage du projet jusqu’à son départ du gouvernement en octobre 2015 et son remplacement par l’actuel maître des céans. Pendant son séjour au gouvernement, il tient tête aux partenaires chinois du projet.

Approché, il explique que sa position tenait au fait que l’estimation financière, faite sur la base d’une voie rapide (2×2 voies et une vitesse de référence de 100 km/h) et contenue dans le contrat commercial, a été « approximative ». En d’autres termes, il est bien possible que les 284 milliards de FCFA HT de départ suffissent à réaliser la première phase de l’autoroute dans sa configuration décidée par le gouvernement du Cameroun. De ce fait, « un marché public [qui a changé les caractéristiques de l’autoroute après des discussions techniques de haut niveau] a été souscrit librement par l’entreprise, synonyme d’abrogation du contrat commercial dans les termes contraires », soutient-il.

Mais à en croire l’ancien maire d’Ayos, « il a (néanmoins) été convenu que le linéaire définitif serait arrêté au terme de l’étude d’exécution ». En d’autres termes, l’autoroute devrait s’arrêter où le financement initial s’achèverait. « Le marché en cours d’exécution se réalise sur la base des prix unitaires », rassure-t-on d’ailleurs à l’immeuble Émergence. « Ça veut dire que nous payons ce qui est réalisé et certifié par les missions de contrôle », y explique-t-on.

Vu sous cet angle, le projet dispose encore d’une part importante de son enveloppe de départ. Ce qui jette davantage le doute sur l’estimation des coûts des travaux supplémentaires faite par le Mintp. Selon l’exposé d’Emmanuel Nganou Djoumessi, présenté au conseil de cabinet du 29 juillet, « l’avancement financier, à date (montant facturé HT), est de l’ordre de 79,32 %, soit 225,259 milliards FCFA pour un taux de décaissement d’environ 81,91 %, soit 184, 517 milliards FCFA (y compris l’avance de démarrage) ». Et ceci pour un taux de réalisation de 91 %.

Ce qui suppose que la réalisation de 91 % du projet nécessiterait une dépense de 225,3 milliards de FCFA. Il resterait donc encore 58,7 milliards de FCFA pour réaliser 9 % du projet. Si on ajoute les près de 40 milliards de FCFA, considérer par Emmanuel Nganou Djoumessi comme le coût des travaux « non pris en charge dans le montant initial du marché », on atteint une somme de près de 100 milliards de FCFA, destinée juste à réaliser les 9 % du projet restant.

« Le coût des prestations additionnelles sera arrêté au terme d’une discussion entre CCCC et la commission mise en place par le Premier ministre », indique-t-on au Mintp pour couper court à toutes spéculations. Il reste que, en sa qualité d’ingénieur de l’État et de maître d’ouvrage du projet, la voix du Mintp est loin d’être négligeable.

     Source : Investir au Cameroun