La décision du G20 de suspendre pour un an le remboursement de la dette est pour 77 pays en voie de développement, dont 41 pays d’Afrique subsaharienne, une bouffée d’air qui permettra d’éviter une crise économique sans précédent – le FMI anticipe une baisse du PIB africain de 5 %. Pourtant, ce moratoire ne porte que sur 14 milliards de dollars, soit à peine 200 millions de dollars par pays…
C’est loin d’être suffisant pour répondre au défi auquel nous faisons face, mais cette mesure a le mérite de faire consensus entre l’Union Africaine, la Banque mondiale, le FMI et les pays du G7, et constitue une opportunité pour l’Afrique sur lequel il faut capitaliser.
Hélas, un acteur manque à l’appel, et pas des moindres, puisqu’il s’agit de la Chine, l’un des principaux créanciers du continent (143 milliards de dollars de prêts entre 2000 et 2017) et son premier partenaire commercial.
Pékin n’a pas l’habitude d’annuler les dettes, et préfère négocier de nouveaux prêts à des taux bien supérieurs à ceux pratiqués par la Banque mondiale. La crise du Coronavirus, partie de Chine, n’a pas modifié la position de fermeté de la part du Parti communiste chinois. Ainsi, dès le mois d’avril et en pleine crise, le Gabon et le Ghana ont reçu de la part de leur « bienfaiteur » chinois des demandes de remboursements de plusieurs millions de dollars, assorties de lourdes pénalités de retards. Même punition pour l’Ethiopie, qui a obtenu dès le mois d’avril une fin de non-recevoir à sa demande de rééchelonnement de la dette auprès des banques chinoises ICBC et CDB.
La Chine, bailleur de fonds ou usurier ?
Quand la Chine prête de l’argent, elle le fait en dehors de tout cadre réglementaire multilatéral, et considère qu’elle n’est pas tenue d’appliquer les moratoires ou annulations de dettes préconisées par le Club de Paris ou le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE. En effet, les Chinois ne souffrent d’aucun contrôle et se permettent de pratiquer des taux usuriers. Selon une étude d’avril 2020 du Center for Global Development, les financements chinois sont nettement moins avantageux que ceux de la Banque mondiale, que ce soit en termes de taux d’intérêt ou de durée. Ainsi, plusieurs pays d’Afrique centrale et de l’Est (comme la Zambie, la Tanzanie ou l’Ethiopie) ont emprunté aux banques chinoises à des taux d’intérêts dépassant les 5 %… La Chine est peu encline à restructurer la dette : pour le port de Hambantota à Sri Lanka la dette s’est transformée en un bail de 99 ans… Le plus souvent, les défauts de paiement permettent même aux Chinois de prendre le contrôle des infrastructures qu’ils ont financées : c’est déjà le cas pour l’aéroport d’Entebbe en Ouganda, ou encore de mines de cuivres en Zambie. Ce sera sûrement le cas prochainement pour le port de Doraleh à Djibouti ou celui de Mombasa au Kenya. La Chine accorde donc des prêts aux pays africains à condition que les projets soient réalisés par des entreprises chinoises… et quand les pays peinent à rembourser leurs dettes, comme pendant la crise du Covid-19, elle les exproprie de leurs propres territoires !
La colonisation par la dette
L’Afrique doit maintenant regarder l’action chinoise sur le continent pour ce qu’elle est : de la prédation, une colonisation par la dette qui ne dit pas son nom. Compte tenu de la crise économique, les projets financés par la Chine (infrastructures de transports, projets d’énergie, etc.) ne seront pas en mesure de générer les revenus nécessaires au remboursement des prêts. Comme préconisé par les autres bailleurs internationaux, il apparaît logique de suspendre le remboursement de la dette pour des projets qui ne sont plus, de fait, rentables. Sans aucune participation à l’allègement du fardeau de la dette de la part de la Chine, qui détient plus de 20% de la dette africaine, l’impact des mesures décidées par l’ensemble des autres bailleurs de fonds vis-à-vis de l’Afrique n’auront qu’un effet limité. Il est temps que la Chine démontre enfin sa « générosité » vis-à-vis de l’Afrique, en acte et pas seulement en parole.