Affaire Habyarimana: la justice française doit se prononcer sur la validité du non-lieu

Getty/Scott Peterson Un soldat du Front patriotique rwandais inspecte le site sur lequel s'est crashé l'avion du président rwandais, Juvénal Habyarimana, quelques jours plus tôt. Le 26 mai 1994.

Une étape judiciaire importante dans l’enquête sur l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, considéré comme déclencheur du génocide de 1994 au Rwanda. La cour d’appel de Paris doit dire ce vendredi 3 juillet si elle confirme ou non le non-lieu prononcé fin 2018 pour sept Rwandais, proches du camp de Paul Kagame, mis en examen dans cette procédure de plus de 20 ans.

 Une information judiciaire pour « assassinats et complicités en relation avec une entreprise terroriste » avait été ouverte en France en 1998, suite à une plainte déposée par des familles de l’équipage français.

En décembre 2018, les juges d’instruction avaient expliqué leur décision de classer la procédure en soulignant « l’absence d’éléments matériels indiscutables » et le caractère « largement contradictoires ou non vérifiables » des témoignages. Les proches des victimes de l’attentat avaient alors fait appel de ce non-lieu.

En janvier dernier, devant la chambre de l’instruction, leurs avocats avaient plaidé que le dossier était assez solide en l’état pour justifier un procès, ou qu’à défaut, un complément d’information devrait être accordé pour que la justice puisse se procurer un rapport confidentiel du Tribunal pénal international pour le Rwanda datant de 2003 et à même, selon eux d’étayer l’accusation.

Le parquet général, lui, comme la défense, avait demandé confirmation de l’abandon des poursuites. Pour trancher, dans ce dossier complexe et sensible, la chambre s’était donné 6 mois. Sa décision sera rendue à huis clos.

Plusieurs scenari sont possibles. Si le non-lieu est confirmé : les parties civiles peuvent alors se pourvoir en cassation pour contester cette décision; il faut par ailleurs savoir qu’on non-lieu ne clôt pas forcément définitivement un dossier, le ministère public peut décider de le rouvrir, même bien plus tard, à condition que de nouveaux éléments le justifient.

Si au contraire les magistrats ne confirment pas le non-lieu, ils peuvent décider de relancer l’enquête ou de renvoyer certains ou tous les suspects en procès devant les assises, sur la base du dossier actuel.

Brouille diplomatique et enjeux politiques

Depuis son ouverture en 1998, cette procédure empoisonne les relations diplomatiques entre Paris et Kigali, sur fond de débat sur les responsabilités françaises à l’époque. À l’époque, Kigali voit d’un mauvais œil la tournure prise par l’instruction confiée au juge Bruguière, qu’elle accuse d’enquêter uniquement à charge contre le FPR de Paul Kagame. La relation franco-rwandaise, déjà fragile, vacille.

Et c’est en 2006 que la rupture est consommée, lorsque le juge Bruguière émet des mandats d’arrêt contre neuf Rwandais proches de Paul Kagame. En réponse : Kigali rompt ses relations diplomatiques avec Paris. La brouille dure 3 ans. Entre temps, Le Rwanda lance sa contre-offensive.

En 2008 est publié à Kigali un rapport mettant en cause plusieurs responsables français pour leur supposée complicité dans le génocide. Dans la foulée Kigali annonce également que l’anglais remplacera le français comme langue d’enseignement.

Depuis, la relation entre les deux pays fluctue au fil des péripéties de l’enquête. Sous Nicolas Sarkozy elle connaît en 2010 une période de réchauffement à la faveur du remplacement du juge Bruguière par le juge Trévidic et de l’ouverture de poursuites judiciaires en France contre plusieurs génocidaires présumés. Mais l’éclaircie est de courte durée.

La réouverture de l’enquête sur l’attentat en 2016 est perçue à Kigali comme un nouvel affront. Depuis 2015 la France n’a plus d’ambassadeur dans le pays. La décision de la cour d’appel attendue aujourd’hui pourrait-elle mettre à mal le nouveau rapprochement amorcé depuis l’élection d’Emmanuel Macron ? « Vouloir rouvrir un dossier classé, c’est vouloir créer des problèmes », a en tout cas prévenu récemment le président rwandais à nos confères de Jeune Afrique.

■ Qui a tiré ?

Plus de 26 ans après les faits, et malgré plus de 20 ans d’instruction, deux thèses continuent de s’affronter sur les auteurs de cet attentat au cours duquel deux présidents ont perdu la vie. Attentat considéré comme le déclencheur du génocide de 1994.

Il est environ 20h30 ce mardi 6 avril lorsque l’avion du président Habyarimana amorce sa descente sur Kigali. À bord, il y a aussi le président Burundais Cyprien Ntaryamira. Les deux hommes rentrent de Tanzanie où s’est tenu une réunion sur la mise en œuvre des accords d’Arusha, censés mettre un terme à la guerre civile en organisant un partage du pouvoir entre Hutu et Tutsi. L’avion est frappé par tir de missile, S’écrase, il n’y a pas de survivant. Dans les heures qui suivent, les massacres dans Kigali commencent.

Qui a tiré ? Un quart de siècle plus tard, la justice française n’a toujours pas tranché. S’agit-il d’extrémistes hutus, qui auraient cherché à se débarrasser d’un président jugé trop modéré, et à faire accuser leurs ennemis pour justifier le génocide à venir. C’est ce qu’affirme l’actuel pouvoir rwandais. S’agit-il plutôt de l’ex-rébellion du FPR de Paul Kagamé qui aurait visé le président pour déstabiliser le pays et prendre le pouvoir ? En France, c’est cette thèse qui a d’abord été privilégiée par le juge Bruguière. Selon lui les missiles auraient été tirés depuis la colline de Massaka.

Mais en 2012, un rapport d’expertise balistique, commandé par son successeur le juge Trévidic fragilise cette thèse. Sans tirer de conclusion, ce rapport désigne comme probable zone de tir les environs du camp de Kanombe, aux mains de l’unité d’élite du pouvoir hutu, à trois kilomètres de Massaka. 

Fin 2018, dans leur ordonnance de non-lieu, les juges français avaient concluent à « l’absence d’éléments matériels indiscutables », et soulignent le « climat délétère » entourant cette enquête.

 

   Source: rfi