Instauré en mars dernier puis réaménagé en mai pour limiter la propagation du coronavirus, au Sénégal le couvre-feu est entré en vigueur après que le Président Macky Sall a décrété l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire. Mais aujourd’hui, il est contesté de partout et considéré comme un frein à la relance de l’économie nationale.
Au soir du 25 mars 2020, l’entrée en vigueur du couvre-feu au Sénégal avait été marquée par des violences d’agents de la force publique sur des citoyens coupables de n’avoir pas respecté les horaires de circulation. Le tollé général avait contraint la direction de la police à présenter ses excuses.
Deux mois plus tard, alors que les appels à un retour à une situation normale se multiplient, un jeune boulanger de Diourbel (à environ 160 km de Dakar) a été violemment «corrigé» par un employé ASP (Agence de sécurité de proximité), un établissement public d’appoint pour l’administration et les forces de sécurité. Sa faute: non-respect du couvre-feu qui court de 21 heures à 6 heures du matin.
Cet événement pourrait être la dernière bavure d’un dispositif dont plus personne ne semble vouloir désormais. La question que tout le monde se pose est la suivante: jusqu’à quand le Président Macky Sall pourra-t-il résister à la demande quasi générale de levée du couvre-feu?
«Le (semi-) confinement ne sert à rien car la chaîne de transmission de la maladie n’a pas été rompue au bout de deux mois. Le virus continue toujours à circuler. Or, le confinement n’est qu’un élément qui vient s’ajouter à l’armada de dispositifs de lutte contre le Covid-19», a plaidé, sur les ondes de la radio RFM, le Dr Pape Moussa Thior, expert en santé publique, ex-directeur du Programme national de lutte contre le paludisme.
Annuler toutes les restrictions inutiles pour être cohérent
Partisan décomplexé de l’immunisation collective face au coronavirus, le Dr Thior demande à l’État de prendre en compte les dégâts collatéraux engendrés par la limitation stricte des déplacements des populations.
«Dakar a la particularité d’abriter l’essentiel des structures de santé de qualité. Les malades qui sont dans les régions voisines et qui ont un rendez-vous médical dans la capitale, comment doivent-ils faire pour y parvenir alors que l’état d’urgence les en empêche?»
Le ralentissement de l’activité industrielle, les difficultés des entreprises tous secteurs confondus, sans oublier les protestations sourdes des travailleurs informels et les frustrations des transporteurs accentuent chaque jour davantage la pression sur les autorités. À en croire Moustapha Diakhaté, ex-leader parlementaire de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, le gouvernement a l’obligation de tirer les conséquences de cette situation.
«La levée de l’état d’urgence et du couvre-feu s’impose car le Président Macky Sall a annulé les régimes restrictifs qu’il préconisait pour les lieux de culte, les transports, les marchés traditionnels, les établissements scolaires et supérieurs, sans oublier l’autorisation de rapatriement de Sénégalais morts du Covid-19 à l’étranger», défend l’ex-leader parlementaire dans une déclaration à Sputnik.
Du reste, certaines des dispositions prises par le gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire sont loin d’être respectées. Ainsi, à la fin du mois d’avril, le ministère de l’Intérieur avait annoncé l’immobilisation de 6.000 véhicules dont les propriétaires avaient enfreint les règles du couvre-feu et de l’état d’urgence.
Ça grogne dans les troupes
Sous tension depuis plusieurs semaines, les policiers et gendarmes réquisitionnés pour faire respecter les dispositions du couvre-feu semblent eux-mêmes lassés des patrouilles nocturnes qui les obligent à affronter la défiance de certaines populations, comme cela s’est passé à la Médina en avril dernier. Par conséquent, la grogne et le blues auraient atteint les troupes. «On nous a annoncé que nous allions recevoir une prime de 7.100 francs CFA (environ 11 euros) pour les deux mois et dix jours de couvre-feu […] Vous voyez bien que depuis quelques jours, les agents ne sont pratiquement plus sur le terrain, surtout dans la région de Dakar. Les collègues sont frustrés», rapporte le journal Le Témoin quotidien, généralement bien informé dans la police.
Du reste, le gouvernement lui-même semble condamné à poursuivre les mesures d’assouplissement de l’état d’urgence après celles relatives à la réouverture des lieux de culte, marchés et centres commerciaux. Entre la reprise annoncée des liaisons aériennes pour le début du mois prochain, les complaintes des milieux économiques et, surtout, le retour en classe fixé au 2 juin 2020, le couvre-feu risque bien de vivre ses derniers instants.
Dans un désordre indescriptible, les enseignants rejoignent leurs écoles à l’intérieur du pays à bord de bus publics mis à disposition par le gouvernement. Dans son message du 11 mai dernier, le Président Macky Sall avait appelé les Sénégalais à une cohabitation durable avec le virus en perspective d’une «relance de l’économie nationale». Sous cet angle, le couvre-feu mérite-t-il de perdurer?
Source: Sputnik