Le Comité d’éthique de la Banque africaine de développement est assailli par les lanceurs d’alerte. Après un dossier accablant Akinwumi Adesina, le président de l’institution, une nouvelle note, consultée par Mondafrique, met en cause Steven Dowd, le directeur exécutif et représentant américain. Il lui est reproché d’avoir fait fuiter des éléments de l’enquête interne afin de fragiliser la réélection du Nigerian.
Par Michael Pauron
L’affaire des lanceurs d’alerte de la Banque africaine de développement (BAD) n’a pas fini de rebondir. Une note adressée en mars au Comité d’éthique, consultée par Mondafrique, accuse ni plus ni moins Steven Dowd, le directeur exécutif américain, d’avoir bafoué les règles de confidentialité en transmettant, en dehors de l’institution panafricaine, des éléments délivrés par le « Groupe de membres du personnel préoccupés ».
Un timing bien calculé
En janvier, ce regroupement d’employés de la BAD, avaient fait parvenir à son Comité d’éthique, dont est membre Steven Dowd, un document de onze pages détaillant une série de dysfonctionnements attribués à Akinwumi Adesina, le président de la Banque basée à Abidjan. Le timing est tout sauf un hasard, puisque le Nigerian, élu en 2015 et dont le mandat se termine en septembre, est candidat à sa propre succession – élection qui doit se tenir en mai. Le dossier accuse l’ancien ministre de népotisme et d’attributions douteuses de marchés. Une enquête est ouverte. Mais la note des lanceurs d’alerte finit par fuiter dans la presse.
Entre la remise de ce document accablant et sa divulgation dans les médias, une autre missive est cependant venue fragiliser la démarche a priori honnête de ces employés inquiets. Certains d’entre eux, semble-t-il désabusés, s’en sont pris directement à Steven Dowd. Une plainte datée de mars et signée par un « Groupe de membres du personnel indignés » – qui se présente comme avoir appartenu au « Groupe de membres du personnel préoccupés », ce qui ne manque pas de piments -, est parvenue à la direction du Comité d’éthique.
« Des violations graves »
La lettre, qui entend divulguer des actes de « violation présumée du Code de déontologie des directeurs exécutifs de la Banque africaine de développement », liste ce que les auteurs estiment être « des violations graves et répétées du Code de conduite par le directeur exécutif Steven Dowd ». La remise successive de ces dénonciations ressemble fort à un règlement de compte interne, sur fond de campagne pour la réélection d’Adesina.
« Nous étions des membres du ‘Groupe de membres du personnel préoccupés’ jusqu’à ce que nous comprenions que nous étions manipulés par des directeurs exécutifs non régionaux, derrière M. Dowd, non pas pour la bonne gouvernance de la banque africaine mais pour discréditer la candidature à sa réélection de l’actuel président », lit-on en introduction. Difficile de prouver si les auteurs ont bien appartenu au premier groupe. Contactés via une adresse e-mail indiquée sur le document, ils n’ont pas répondu.
Des fuites calculées
En trois points, ils dénoncent une « collusion » avec les lanceurs d’alerte lors de la préparation et de l’envoi du premier document. Ils accusent Dowd de « non-respect des règles et règlements du Comité d’éthique », d’avoir fait fuiter à l’extérieur de la banque « ses délibérations, avec des rapports exhaustifs de toutes les discussions (lors des réunions ou par e-mail) entre les membres du comité d’éthique », et la « préparation conjointe avec les lanceurs d’alerte de toutes les réactions à envoyer à la suite de discussions entre les membres du comité d’éthique. »
Steven Dowd a-t-il communiqué des éléments sensibles à l’extérieur de la BAD ? Il l’a fait assurément avec cette dernière lettre. Un e-mail de Dowd, accompagné du document consulté par Mondafrique, a de fait été envoyé, et s’est retrouvé entre les mains de destinataires externes à la Banque.
Des lanceurs d’alerte manipulés?
Dans ce courriel, Dowd nie avoir manipulé les lanceurs d’alertes : « Cette allégation calomnieuse contre moi met à nu l’effort de faire taire les dénonciateurs. » Fait-il référence à une autre lettre, mentionnée par la quotidien Le Monde, adressée début avril aux gouverneurs de la BAD, et dans laquelle les premiers lanceurs d’alerte regrettent les tentatives faites pour découvrir leur identité ?
Dowd conclue : « Je publie ce courriel non pas en tant que membre du [Comité d’éthique], mais en tant qu’individu calomnié, il n’y a donc pas de violation de la confidentialité. »
Un proche du dossier contacté par Mondafrique affirme que Steven Dowd n’en ai pas à sa première fuite en dehors des murs de la BAD. Sous couvert d’anonymat, il confirme que l’Américain s’est vanté d’avoir transmis les premières allégations contre Adesina au Trésor américain, « par soucis pour la banque », aurait-il justifié.
Nommé en 2017 par l’administration Trump représentant des États-Unis au siège de la BAD, Steven Dowd a occupé plusieurs postes à responsabilité dans les secteurs de la logistique et de la finance. Selon le site de la Maison Blanche, en novembre 2019, il a été nommé représentant des États-Unis à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), en attente de la confirmation du Sénat. Au sein de la BAD, il est par ailleurs membre du Comité d’audit et des finances. Depuis les accusations portées contre lui, il aurait été suspendu du Comité d’éthique, assure une source.
Contacté par Mondafrique, Steven Dowd n’a pas souhaité répondre.