Indépendance du Bénin: des photos méconnues racontent le 1er août 1960

Cosme Dossa Le président Hubert Maga en blanc au premier rang avec Sourou Migan Apithy qui a dirigé le gouvernement autonome du Dahomey.

Le 1er août 1960, Hubert Maga proclame l’indépendance du Dahomey dont il est le premier président. Cosme Dossa, son photographe officiel, couvre cette journée historique. Il en reste des images, méconnues, préservées à l’École du patrimoine africain à Porto-Novo. Des passionnés d’histoire les ont sauvegardées et essaient de les faire connaître des Béninois.

 Il n’y a qu’une cinquantaine de photos, mais ce sont autant de témoignages précieux sur une journée historique pour le Dahomey. Des images en noir et blanc, format carré, numérotées, parfois légèrement dégradées par l’humidité, prises par Cosme Dossa, un des grands photographes des années 1950-1960, quelques heures après qu’Hubert Maga, élu président de la République du Dahomey le 26 juillet, a proclamé l’indépendance à minuit, accompagnée de 101 coups de canon.

On trouve des clichés factuels de la cérémonie qui s’est déroulée à Porto-Novo, la capitale, sur l’esplanade herbeuse entre l’Assemblée législative de l’époque et la résidence du gouverneur du territoire du Dahomey, actuelle Assemblée nationale. Hubert Maga apparaît en train de marcher, bras levé comme s’il appelait quelqu’un, en agbada (tenue traditionnelle) blanc, écharpe aux couleurs du Dahomey et Grande croix de commandeur sur le buste. Sur une autre image, il passe devant les officiels français, installés sur une petite estrade en bois, Sourou Migan Apithy (chef du gouvernement provisoire du Dahomey du 25 mai 1957 au 22 mai 1959), à ses côtés, lui aussi en agbada blanc. Parmi les représentants de la France, il y a Louis Jacquinot, ministre de l’Outre-mer envoyé par de Gaulle, et René Tirant, dernier Haut-commissaire du Dahomey.

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La cérémonie a eu lieu devant l’assemblée législative à Porto-Novo avec des représentants de toutes les régions du Bénin et des officiels français Cosme Dossa

D’autres clichés montrent le premier gouvernement avec les ministres portant la même tenue traditionnelle, des discours prononcés sur une petite tribune sur laquelle se dresse un micro de la Radio nationale. Et grâce aux angles de prises de vue, on voit la foule qui s’est amassée derrière les barrières. La simplicité des manifestations frappe au vu de l’importance de l’événement. Jérôme Carlos a vécu ce 1er août 1960 à Porto-Novo. Journaliste réputé, il avait 16 ans à l’époque. Élève à Cotonou, il était en vacances chez lui et il s’était rendu sur place « par curiosité ». Il explique ainsi la sobriété perceptible sur les images : « On n’avait pas grand-chose, on était un territoire sous tutelle. Mais on était heureux ».

 

« Un président qui avait le sourire »

Ce bonheur se lit sur les nombreuses photos de groupe, certainement prises sur la terrasse de la résidence du gouverneur. On dirait les clichés d’un mariage où les convives se rassemblent par affinités. Et comme dans un mariage, les convives sont tout sourires. Sur l’un d’eux, Hubert Maga et Sourou Migan Apithy se tiennent au milieu de leurs familles. « On peut aisément lire la joie qui animait le président Maga, constate Franck Ogou, le directeur de l’École du patrimoine africain (EPA). Au-delà de la solennité, c’est une fête populaire, avec un président qui avait le sourire. Maga va avec des officiels, avec la foule, avec les enfants, il y a même une photo où on le voit danser avec sa femme, certainement après le banquet. »

C’est Franck Ogou qui a sauvé ce patrimoine, qui aurait probablement été voué à la disparition. Archiviste de formation, il a inventorié les photographes du Dahomey et a connu Cosme Dossa, décédé en 2013. À l’occasion d’un programme de numérisation lancé en 2016, il a pu récupérer le fonds que Dossa gardait chez lui, dans une petite pièce poussiéreuse et trempée lors des grandes pluies, avec l’accord de sa famille. Soit au total 15 000 négatifs et 600 tirages. « Quand je le côtoyais, il me racontait qu’une de ses grandes fiertés, c’était d’avoir immortalisé ces événements-là. Dans sa collection, les photos du président Maga occupaient une grande place. » Dossa, photographe de studio et photojournaliste, représentant de Kodak au Dahomey, aimait surtout capter la vie quotidienne. Il était régulièrement sollicité pour mettre en image les fêtes familiales, dont il arrive toujours à rendre l’atmosphère de gaieté, et c’est peut-être ce regard qu’il a posé sur les protagonistes du 1er août. « Dossa était libre et créatif. Et sur les images du 1er août, il y a beaucoup de moments pris sur le vif. À cette époque, il n’y avait pas de mise en scène du pouvoir », commente Franck Ogou.

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Le président Hubert Maga et son épouse posent sur la terrasse du Palais des gouverneurs à Porto-Novo, avec Sourou Migan Apithy. Cosme Dossa

Un trésor documentaire

À sa connaissance, le fonds comptait beaucoup plus de photos de l’indépendance. Mais au Bénin, les héritiers des photographes de cette période les ont souvent laissées s’abîmer faute de savoir les conserver ou les ont détruites ne pensant pas que ces vieilles images pouvaient avoir de la valeur. Et puis, « plein de photos ont été vendues par les enfants de Dossa, regrette Franck Ogou. Heureusement, il est l’un des photographes de sa génération dont on peut contempler les clichés aujourd’hui ». Mais il semble que personne ne connaisse l’existence de ce trésor documentaire. En tout cas, les personnalités et historiens consultés n’en avaient jamais entendu parler, comme Léon Bio Bani Bigou, spécialiste de l’histoire politique du Bénin. « Je me réjouis d’apprendre qu’on a des photos du 1er août. C’est à l’INA (Institut national de l’audiovisuel) en France qu’on doit aller faire les recherches, parce qu’ici on ne conserve pas les archives ! ».

Il y aura peut-être une prise de conscience de la valeur de ces images grâce à Didier Kpassassi. Ce photographe, président de l’Association des photographes d’art du Bénin, s’est démené pour monter une exposition avec des grands formats des versions numérisées par l’EPA. D’après son directeur, ce serait la première fois qu’elles seraient montrées au Bénin alors qu’elles l’ont déjà été en France, en 2010, lors du cinquantenaire des indépendances des pays d’Afrique francophone. « Aucune structure officielle, ici, n’avait d’images et c’est Cosme Dossa qui avait fourni les photos », se souvient-il.

Didier Kpassasi s’est heurté à une difficulté majeure : légender les photos. Car si le photographe dahoméen avait archivé son travail, il n’avait pas pris la peine d’identifier tous les protagonistes. « C’est compliqué, car les témoins de cette époque sont très âgés et de moins en moins nombreux », explique l’organisateur.

Y a-t-il d’autres photos de l’indépendance dans des archives privées au Bénin ? C’est très possible. Les enfants d’Hubert Maga ont confié récemment deux cartons à Hamidou Ali Orou. Le directeur adjoint de l’Institut français de Parakou, ville natale de Maga au nord du Bénin, fait partie d’un comité d’aînés de la cité, réunis autour d’un projet : remettre le père de l’indépendance dans l’actualité car, selon eux, il est oublié. Hamidou Ali Orou, ancien de l’EPA, sait que les images de Dossa existent, mais il ne les a jamais vues. « En 2016, nous avions célébré le centenaire de la naissance de Maga, et tout ce que nous avions trouvé comme document, c’était une vidéo du défilé du 1er août 1961 et les enregistrements du célèbre discours de proclamation de l’indépendance, confie-t-il. Il y a une sorte de mythe autour de ce qui s’est passé le 1er août ». Un mythe que les images de Cosme Dossa pourraient transformer en réalité.

   Source : rfi