Congo : 60 ans d’indépendance dans le tumulte

Souverain le 15 août 1960, le Congo a vécu de violents changements de présidence, des assassinats et une guerre civile. Et depuis 1997, Sassou Nguesso en est le chef d’État. Pour le Congo, les 60 ans d’indépendance n’ont pas été un long fleuve tranquille. Plus que jamais, alors que le pays doit faire face à de sérieuses difficultés économiques, la question politique est aussi sous pression. Au regard de l’âge du président, il n’est pas interdit de s’interroger sur la suite que le destin réserve au pays. Les institutions sont-elles assez solides pour permettre une transmission démocratique du pouvoir ? La question est posée. 

 Liesse dans les rues, chants en l’honneur de la patrie et discours augurant d’une nouvelle ère pour l’Afrique… À l’été 1960, ces scènes, diffusées en noir et blanc dans les actualités télévisées, donnent à penser qu’une nouvele ère s’ouvre pour l’Afrique. Le 15 août de ce cette même année, c’est au tour de la République du Congo. Ce territoire de 342 000 kilomètres carrés, séparé de la RD Congo (ex-Congo belge, Kinshasa puis Zaïre) par le fleuve Congo, prend son indépendance 69 ans après la création de la colonie par la France. Mais c’est en fait la mission d’exploration de Savorgnan de Brazza – qui a donné son nom à la capitale du pays – qui acte le début la présence française. Toutes ces années, la métropole y exploite ses nombreuses ressources naturelles : son caoutchouc, mais aussi son l’ivoire, son sucre et ses bois précieux. 

Jour d’indépendance : tous les espoirs sont permis

Alors ce 15 août 1960, quand le territoire accède à la souveraineté internationale s’affranchissant officiellement de la tutelle française, tous les espoirs sont permis. À sa tête, Fulbert Youlou, 43 ans, un prêtre catholique né à Madibou dans la région du Pool. Le président de la jeune république, toujours habillé d’une soutane blanche ou noire selon l’occasion, n’est pas un inconnu pour les Congolais. Cela fait déjà plusieurs années que Fulbert Youlou anime la vie politique du pays. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et après la Conférence de Brazzaville de 1944 qui octroie aux colonies françaises davantage d’autonomie, « l’abbé » a gravi une à une les marches du pouvoir.

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Avant l’indépendance, la montée en puissance du futur président

C’est au début des années 1950, après un premier essai raté en politique que le prêtre gagne véritablement en influence. Il s’impose comme l’orateur des Lari, une communauté adepte du Matswanisme, du nom du fondateur de ce mouvement messianique remettant en cause le colonialisme, André Matswa, mort en 1942. Cette image de dissident nouvellement acquise lui vaut aussi le soutien des Bakongo. Sa défaite aux élections législatives de janvier 1956 le rend encore plus combatif. Le 17 mai 1956, l’abbé Fulbert Youlou fonde l’Union démocratique de défense des intérêts africains (UDDIA), concurrent du Parti progressiste congolais (PPC) de Jean Félix-Tchicaya et de la section SFIO – transformée en janvier 1957 en Mouvement socialiste africain (MSA) – de Jacques Opangault. Le « parti du caïman », anticommuniste et chrétien-libéral, le porte en novembre à la mairie de la capitale Brazzaville.Le début d’une inexorable ascension.

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L’année suivante, il entre au gouvernement provisoire en tant que ministre de l’Agriculture. En 1958, après le « oui » du Congo au référendum sur la Communauté franco-africaine du Général de Gaulle, Fulbert Youlou est nommé Premier ministre. Une nouvelle qui provoque l’ire de certains dirigeants politiques. Jacques Opangault, chef du MSA, dénonce un coup d’État constitutionnel. Sans succès. Car le Premier ministre s’attelle déjà à la construction d’un pouvoir personnel. Le 20 février 1959, il fait adopter une constitution qui lui octroie des pouvoirs étendus, dont celui de dissoudre l’Assemblée. Ce qu’il fera d’ailleurs, deux mois plus tard, après avoir consciencieusement redécoupé les circonscriptions électorales. Le 14 juin 1959, l’UDDIA accapare, avec 58 % des suffrages, 51 sièges à l’Assemblée contre 10 pour le MSA.

 

Des débuts tendus dans une atmosphère de restriction des libertés

Quelques mois avant l’indépendance, le 21 novembre, l’institution acquise à sa cause le porte à la présidence de la République. Jusqu’au 15 août, il va s’efforcer de faire taire les quelques voix dissidentes qui s’opposent encore à son pouvoir. Les matswanistes qui ne veulent toujours pas voir en lui la réincarnation de Matswa sont pourchassés et arrêtés. Avec Alfred Delarue, ancien grand officier de la préfecture de Paris et collaborateur notoire sous le gouvernement de Vichy est désormais chef du service « Documentation » du gouvernement congolais. Il organise l’élimination de l’extrême-gauche congolaise, regroupée dans la Confédération générale africaine des travailleurs (CGTA) et l’Union de la jeunesse congolaise (UJC). Et le 10 mai 1960, l’Assemblée adopte une série de lois restreignant les libertés individuelles. Est ainsi condamnée toute manifestation organisée contre le gouvernement ainsi que les publications l’encourageant. De nouvelles dispositions permettent également à Fulbert Youlou d’interner ou d’expulser légalement tout individu considéré comme dangereux pour la stabilité du régime. Le 15 août, quand le Congo devient indépendant, c’est la consécration. L’abbé Fulobert Youlou est le premier chef de l’État du Congo. Pour fêter l’évènement, il fait imprimer des timbres à son effigie.

Les premières années pas de tout repos

À l’image des fortes tensions politiques qui paralysent son voisin homonyme, le Congo belge, les premières années de Fulbert Youlou à la tête du pays ne sont pas de tout repos. Sa conception du pouvoir et sa mainmise sur les institutions agacent l’opposition. Fin 1960, une motion de censure est déposée à l’Assemblée contre son gouvernement. Le président est furieux. En pleine hémicycle, il sort un revolver de sa soutane. Et ordonne aux députés dissidents de retirer le texte. L’affaire ne se reproduira plus, mais signe « le style » Fulbert Youlou : un président autoritaire qui a l’opposition en horreur. Après sa réélection le 20 mars 1961, avec 97,56 % des voix, la suite de sa vie politique semble toute tracée.

1962 : le pouvoir de Fulbert Youlou se fissure

Pourtant, tout va bientôt s’arrêter pour le président. En 1962, il annonce son intention d’institutionnaliser le parti unique « afin de sceller la réconciliation et l’unité nationale ». Une table ronde, qui rassemble les dirigeants des trois partis existants (UDDIA, MSA et PPC), les responsables syndicaux, les représentants de l’Assemblée nationale et ceux de l’armée congolaise est donc organisée en août 1963. Les syndicalistes s’opposent fermement aux propositions gouvernementales. Pour marquer leur désapprobation, ils organisent le 13 un « arrêt de protestation » à la Bourse du Travail de Brazzaville. Mais Fulbert Youlou les prend de court. La veille, dans la nuit, il fait arrêter les principaux dirigeants syndicaux. C’est la goutte d’eau pour le mouvement. Le meeting se transforme en manifestation et les protestataires prennent la maison d’arrêt. S’en suivent des affrontements avec les forces de l’ordre. Bilan : trois morts du côté des syndicalistes. Le pays est paralysé, et la gendarmerie congolaise fait appel à l’armée française pour rétablir le calme. Le soir même, le chef de l’État décrète l’instauration d’un couvre-feu et lance un appel au calme à la radio. Deux jours plus tard, sous la pression populaire et celle de l’armée, lâché par le Général De Gaulle, il finit par démissionner.

 

La chute de Fulbert Youlou 

« À Brazzaville, la même foule qui réclamait naguère son indépendance et qui l’a obtenue, a chassé l’abbé Fulbert Youlou dénonçant le fait que “les ministres vivent comme des rois, mais nous, nous n’avons pas travaillé depuis six mois ni mangé depuis trois jours !’ ». Dans le numéro de Paris Match du 24 août 1963, le journaliste raconte qu’à “l’intérieur du palais, dans un climat de kermesse, un drame s’est joué. Revêtu de sa soutane blanche, le président a signé sa lettre de démission découvrant sa solitude”. “Dehors, a-t-il dit, c’est la fête. Les hommes se donnent de grandes tapes dans le dos, lèvent les bras en signe de victoire, comme il y a trois ans, le jour de l’indépendance. Seule différence, le héros de la fête, ce n’est plus lui ». Et l’auteur de l’article de poursuivre : « Avant de quitter le palais, j’ai entendu Fulbert Youlou dire aux militaires le retenant prisonnier : “Tuez-moi si vous voulez. Mes ministres ont peut-être été malhonnêtes. Moi, je n’ai rien à me reprocher. Le prochain gouvernement connaîtra les mêmes difficultés. Il n’agira pas autrement que moi ». Une chose est sûre : l’abbé Fulbert Youlou, qui s’est exilé dans l’Espagne de Franco, a semblé avoir des dons de clairvoyance car la suite lui donnera raison.

Un cycle de coup d’État et d’assassinats

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Alphonse Massemba-Debat quittera la présidence en 1968 au bout de 5 ans. ©️ Akimov Vladimir / Sputnik / Sputnik via AFP

Car les années qui suivent sa chute seront marquées par une grande instabilité politique. De nombreux coups d’États sont perpétrés, dont quatre avec succès. De 1963 à 1968, c’est Alphonse Massamba-Débat qui prend les rênes du pays. Il rompt avec le libéralisme du président précédent et prône une politique marxiste à l’image de celle d’Ahmed Sékou Touré en Guinée. En raison de nombreuses tensions internes, il finit par se retirer en 1968.

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L’armée prend le pouvoir avec à sa tête le capitaine Marien Ngouabi. Le 30 décembre, il est nommé chef de l’État, un conseil de la révolution est créé et la Constitution est abrogée. Le pays devient alors la « République populaire du Congo ». Côté économie, le pays dépend toujours de l’exportation de ses matières premières auxquelles s’ajoutent depuis peu de modestes ressources en pétrole. Le 18 mars 1977, coup de théâtre. Marien Ngouabi est assassiné dans sa résidence. Une semaine plus tard, l’ancien président Alphonse Massamba-Débat connaît le même sort. Le 5 avril, le colonel Joachim Yhombi-Opango devient président de la République. Denis Sassou Nguesso, alors ministre de la Défense, prend lui la place de vice-président. C’est bientôt le début d’une nouvelle ère pour le Congo. Car Denis Sassou Nguesso, natif du village d’Edou dans le centre du pays, ne veut pas s’arrêter là.

Les débuts de l’ère Sassou 

Le co-fondateur, avec Marien Ngouabi, du Parti congolais du travail (PCT), est en conflit avec Joachim Yhombi-Opango qui a succédé à Marien Ngouabi. Grâce à ses nombreux soutiens au sein du parti, il fait dissoudre le Comité militaire du parti (CMP) affaiblissant considérablement le pouvoir présidentiel.

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Le 8 février 1979, le comité central du PCT nomme Denis Sassou Nguesso président. Et en mars 1979, il devient président du comité central du PCT. Le pari est gagné. Car cette nomination lui octroie, de droit, la charge de président de la République pour cinq ans. “Il s’agit d’une riposte résolue de l’ensemble des forces de gauche de notre pays contre le courant droitier », justifia-t-il.

La consolidation du pouvoir de Sassou

Le début de son mandat lui sert à imprimer sa patte. Grâce à l’exportation de pétrole – la mise en exploitation du champ pétrolier de Likouala apporte de l’oxygène aux finances du pays – le président peut mettre en place un plan quinquennal de développement ambitieux. Des ponts, des routes, et de nombreux bâtiments publics se construisent. Une politique qui vaut aujourd’hui au chef d’État congolais cette image de bâtisseur qu’il se plait à cultiver. Mais la chute des prix du pétrole et la crise qui s’en suit au début des années 1980 met un coup d’arrêt à ses projets.

Denis Sassou-Nguesso est aux affaires de manière ininterrompue depuis 1997. ©️ Nicholas Orchard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Réélu en 1984 par le 3e congrès ordinaire du PCT, Denis Sassou Nguesso adopte, sous la pression des institutions de Bretton Woods, un programme d’ajustement structurel (PAS). Celui-ci implique notamment de geler les avancements et les recrutements dans la fonction publique. Le président supprime également certains monopoles d’Etat pour obtenir un rééchelonnement de la dette du pays. Le tout dans un contexte politique tendu. En 1987, le pouvoir affirme qu’un complot contre le président a été déjoué. Il débouche sur l’arrestation de l’ancien président Joachim Yhombi-Opango. Le vent de changement des années 1990, que d’aucuns voient avec la chute du mur de Berlin et la fin du régime de l’apartheid en Afrique du Sud notamment, ne souffle pas en faveur de Denis Sassou Nguesso.

Le tournant du début des années 90 avec la Conférence nationale souveraine

En juin 1990, lors du sommet France-Afrique à La Baule, François Mitterrand invite d’ailleurs les dirigeants africains à libéraliser la vie politique. Il décrète aussi que, désormais, l’aide française sera assujettie aux efforts de démocratisation. Le mois suivant, le comité central du PCT décide de la séparation du parti et de l’Etat et instaure le multipartisme en septembre. L’opposition se fait sentir chaque jour davantage. Pour mettre fin au système du parti unique installer la démocratie, une conférence nationale souveraine est organisée du 25 février au 10 juin 1991.

Plusieurs partis sont créés, ainsi que quelques groupes de presse privés, très critiques envers le pouvoir. L’image du clan Nguesso commence à se ternir. Les arrestations en août 1991 du frère du président, Maurice Nguesso, et de l’ancien ministre des Finances, Justin Lékoundzou Itihi Ossetoumba, pour détournements de fonds n’arrangent pas les affaires du président. En 1992, c’est le coup de grâce. Les élections locales et législatives que les autorités organisent à la suite de grandes grèves générales relèguent le PCT au rang de troisième force politique du pays. Et Denis Sassou Nguesso perd la présidentielle face à Pascal Lissouba, ex-Premier ministre d’Alphonse Massamba-Débat. L’ancien militaire formé à Saint-Maixent, dans les Deux-Sèvres, se retire quelques temps dans son village d’Oyo, dans le nord du pays, avant de s’installer avenue Rapp, à Paris.

La guerre civile de 1997 et le retour de Sassou au pouvoir

Au Congo, les affrontements entre ses soutiens et ceux de Pascal Lissouba font rage. Les violences s’intensifient et débouchent sur une véritable guerre civile entre juin et octobre 1997. Elle sera meurtrière coûtant des milliers de vie au pays. Les Zoulous, la milice de Pascal Lissouba, affrontent celle de Denis Sassou Nguesso, les Cobras. L’armée congolaise, appuyée par des soldats angolais et tchadiens, se rallie à l’ancien président et s’engage auprès de lui à partir du mois d’octobre. Les forces de Pascal Lissouba, elles, sont défaites et quittent le pays. Le 25 octobre 1997 signe le retour de Denis Sassou-Nguesso : il se proclame président de la République.

L’exécutif est divisé en trois organes : la présidence de la République, le gouvernement et le Conseil national de transition. À l’international, il soigne son image, écornée par les images de guerre civile diffusées par les médias. Mais depuis quelques années, c’est une autre affaire qui entache sa réputation : celle dite des « biens mal acquis », une enquête ouverte en 2009 après une plainte de trois associations.

Le pouvoir de Sassou se maintient mais est sous pression de “l’affaire des biens mal acquis”

Car si l’enracinement politique du président congolais est bien réel – il est réélu à chaque scrutin depuis 1997 malgré les contestations régulières de l’opposition et Denis Sassou Nguesso a fait modifier la Constitution en 2015 pour pouvoir se représenter l’année suivante – la mainmise de sa famille et de ses proches sur l’économie du pays est également de plus en plus dénoncée. Selon l’ONG britannique Global Witness, son fils Denis Christel Sassou Nguesso, 45 ans, député d’Oyo, aurait détourné près de 50 millions de dollars (45 millions d’euros) des caisses de l’Etat congolais. Une somme qu’il aurait acquise auprès de la puissante Société nationale des pétroles du Congo (SNPC) dont il a été le numéro deux. « Je ne me considère pas comme un privilégié car je ne suis jamais inscrit dans une situation où je passais avant les autres », affirme pourtant celui que les Congolais surnomment « Kiki pétrolier », lors d’une interview à Africa 24, le 7 mars 2016.

Également dans le radar des magistrats en charge de l’affaire, le patrimoine immobilier des Sassou Nguesso. Pour l’opposant Benjamin Tougamani, qui a bien failli mourir dans l’incendie de sa maison, « rien qu’avec la maison du Vésinet (une demeure en région parisienne estimée 10 millions d’euros), on pourra construire deux, trois hôpitaux à Brazzaville », déplore-t-il à la radio France Inter. Au Congo Brazzaville, dont les réserves en pétrole peuvent faire du pays le 3e producteur d’Afrique, près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Le changement n’est pas à l’ordre du jour. Fin décembre 2019, Denis Sassou-Nguesso est à nouveau désigné candidat du PCT à l’élection présidentielle de 2021

 

      Source : Le Point.fr