Face au coronavirus, les Bourses d’Afrique de l’Ouest plient mais ne rompent pas

© Issouf Sanogo, AFP Écrans de cotation à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) à Abidjan (Côte d'Ivoire) en octobre 2008.

Sur la planète finance, la pandémie de Covid-19 n’épargne personne. Toutefois, loin des chutes spectaculaires des places financières occidentales, les Bourses ouest-africaines se maintiennent. Avec ses homologues africains, le directeur général de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) qui siège à Abidjan, Edoh Kossi Amenounve prépare déjà l’après-crise. Entretien.

 Comme partout ailleurs dans le monde, l’Afrique affronte un double choc, sanitaire et économique. Début avril 2020, 31 pays sur 54 avaient fermé leurs frontières pour freiner la pandémie de coronavirus, accentuant ainsi les difficultés économiques. Pourtant, en pleine tempête boursière mondiale, les bourses ouest-africaines ont limité les dégâts. 

La Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), créée en 1996, assure une mission de coordination des Bourses commune à huit pays de la région : Bénin, Burkina Faso, Guinée-Bissau, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal et Togo. Son directeur général depuis 2012, le Togolais Edoh Kossi Amenounve, se prépare déjà à soutenir l’économie africaine après la crise sanitaire.    

 Quelles mesures avez-vous prises pour assurer la continuité des opérations boursières ?

Edoh Kossi Amenounve : Nous avons activé notre plan pour maintenir notre activité dès la confirmation des premiers cas de contamination sur le continent. La particularité de cette crise étant son caractère sanitaire, notre première priorité a été d’assurer la sécurité du personnel, en déclenchant la procédure du travail à distance pour les agents non opérationnels avant de la généraliser à l’ensemble du personnel. 

Nos équipes (une soixantaine de personnes) chargées de la cotation, de la surveillance des transactions et du règlement/livraison, déployées à leurs domiciles, ont pu ouvrir, administrer et clôturer le marché depuis lors comme s’ils étaient au siège de la BRVM. 

Nous avons aussi aménagé les horaires de cotation (9 h à 14 h au lieu de 15 h) pour nous adapter aux mesures prises par l’État de Côte d’Ivoire, notamment en matière de couvre-feu. Enfin, nous avons développé un certain nombre d’outils de communication et de sensibilisation à l’égard de tous nos partenaires visant à les rassurer sur notre capacité à poursuivre nos activités pendant cette période de crise.

Existe-il un plan de sauvegarde de vos données ?

La BRVM a en effet un plan de sauvegarde de ses données qui fonctionne depuis plusieurs années. Ce système assure une réplication en temps réel de toutes les données y compris l’ensemble des transactions sur un site secours distant du siège, notamment dans un autre État de l’Uémoa [Union économique et monétaire ouest-africaine, qui regroupe les huit pays de la BRVM, NDLR]. Il fonctionne correctement. Nous avons également entamé, depuis l’année dernière, des diligences visant à répliquer nos données vers un cloud. Tous les investissements nécessaires à cet effet ont été effectués. Nous allons donc très rapidement, d’ici juin 2020, basculer notre plan de sauvegarde dans le cloud, ce qui garantira l’accessibilité à toutes les données du marché à des coûts réduits.

Quelles sont les réactions des marchés depuis l’arrivée de la pandémie chez vous ? 

Le premier cas de personnes testées positives au Covid-19 en Afrique a été annoncé le 14 février 2020 et concernant l’Uémoa, le 2 mars 2020. Depuis lors, les marchés de capitaux africains n’ont pas eu des réactions de la même ampleur que celles enregistrées au niveau des Bourses américaines, européennes et asiatiques.

Certaines Bourses africaines comme celles de Casablanca (Masi) et de Lagos qui ont enregistré, par contre, des reculs respectifs de 21 % et 13,6 % en une semaine. Quant à la BRVM, la baisse est de moindre ampleur avec un recul moyen hebdomadaire d’environ 1,88 % au cours du mois de mars 2020.

Quelles premières leçons en tirez-vous ?

Comme partout à travers le monde, la pandémie met à rude épreuve l’efficience informationnelle des marchés, qui sous-réagissent aux bonnes nouvelles et sur-réagissent aux mauvaises nouvelles, traduisant ainsi une certaine inquiétude des investisseurs, en attendant que les informations plus pertinentes soient diffusées et correctement intégrées.

Quels sont les titres les plus secoués ?

En raison des mesures prises par les différents États afin de limiter la propagation du Covid-19 (fermetures des frontières, couvre-feu, confinement, etc.), certains secteurs d’activité sont forcément plus touchés que d’autres, notamment le transport, la logistique et la distribution. Il en va de même pour le secteur agricole, en liaison avec la chute des cours mondiaux et les difficultés liées aux exportations. Ainsi, les titres liés à ces secteurs d’activités enregistrent pour la plupart des baisses significatives.

Que peuvent faire les États africains ?

Les États africains ont l’avantage d’avoir été touchés en dernier par la pandémie. Ils ont donc pu tirer enseignement des mesures prises sur les autres continents pour gérer cette crise sanitaire. Bien évidemment, notre continent a certaines particularités (faible urbanisation, secteur informel dominant) qui amènent à adapter les mesures à notre contexte afin de ne pas transformer la crise sanitaire en crise humanitaire et sociale. 

L’urgence, aujourd’hui, est de limiter rapidement la propagation de la pandémie en Afrique et la circonscrire de manière à ne pas l’étendre à l’ensemble de la population y compris dans les zones rurales. L’Afrique n’ayant pas les moyens de gérer une crise sanitaire profonde, au regard des moyens techniques, technologiques et humaines à déployer pour une prise en charge efficace des malades. 

Les États doivent mener toutes les diligences requises afin d’éviter que le pire advienne. De façon générale, nous pensons que le plus tôt la situation reviendrait à la normale, mieux s’en porterait la croissance économique africaine, qui est déjà attendue à 1,8 % contre 3,2 %  initialement, ce qui reste acceptable comparé aux prévisions de croissance dans les autres régions du monde. 

Vous avez pris fonction le 1er avril 2020 en qualité de président de l’Association des Bourses africaines. Quelle sera votre mission particulièrement en cette période de crise ?

Je vais d’abord coordonner les actions des Bourses africaines face à la pandémie de coronavirus afin de préserver l’intégrité de nos marchés ainsi que la confiance des investisseurs. Par la suite, il s’agira pour moi de piloter l’exécution de la stratégie post-crise des marchés de capitaux africains pour la relance des économies du continent en mettant l’accent sur la mobilisation des ressources locales, le développement de l’investissement responsable et la libre circulation de l’épargne au niveau continental.

 

    Source : france24